L'histoire du patrouilleur La Boudeuse (1982-1990)


Le premier équipage de La Boudeuse (1984).
1982-1984 : La construction

L'histoire de La Boudeuse commence le 10 février 1982, lorsqu'une commande de 6 patrouilleurs de type P400 est passée par la Marine auprès des chantiers des Constructions Mécaniques de Normandie (CMN).

La fabrication débute à Cherbourg, le 5 novembre 1982. La préfabrication des blocs est réalisée du 5 avril au 13 octobre 1983, le début de montage sur tins a lieu le 15 juin 1983, et l'achèvement des superstructures le 21 octobre 1983. Il faut cependant attendre l'année suivante, le 21 février, pour que les moteurs de propulsion soient embarqués. Les groupes électrogènes, quand à eux, sont montés du 14 au 19 mars 1984. Le 14 mai, lecapitaine de corvette Jean-Pierre Teule, qui deviendra le premier commandant de La Boudeuse, rallie le bâtiment.


La Boudeuse sur slip à Cherbourg (mai 1984).

La mise à flot a lieu le 29 mai 1984. Quelques jours avant, avait eu lieu une première présentation en recette technique provisoire.

Le 25 octobre 1984, la prise de commandement du capitaine de corvette Jean-Pierre Teule, coincide avec la prise d'armement pour essais à Lorient. Le bâtiment effectue, par la suite, une série d'essais techniques préliminaires jusqu'à la présentation aux essais officiels qui a lieu le 13 novembre 1984. L'entrée en armement définitif intervient le 13 décembre 1984. Tout allait bien, et personne ne se doutait encore que les essais des 6 premiers patrouilleurs de la série seraient si problématiques.

1985 : Arrêt des essais


Le patrouilleur La Boudeuse à la mer (1984).
Ce n'est qu'au mois de janvier, à l'issue des visites et démontages après essais officiels (9 janvier), qu'apparaissent les premiers ennuis. Ils concernent la télécommande et l'ensemble des sécurités des moteurs principaux. Une série d'essais techniques permet de croire qu'ils sont définitivement réglés, à la fin du mois de mars, alors que L'Audacieuse, bâtiment tête de série, quitte Lorient pour sa traversée de longue durée. Or, L'Audacieuse subit une avarie majeure au large de Dakar, entraînant l'ajournement de la recette de La Boudeuse, le 3 avril, et l'arrêt de tout essai, tant que le constructeur, Alsthom Atlantique, n'apporterait pas la preuve que cette avarie était purement accidentelle.

L'avarie de L'Audacieuse était principalement due à une mauvaise lubrification des moteurs principaux et des températures d'échappement trop élevées qui avaient entraînées l'usure des têtes de pistons et des chemises. Les ingénieurs d'Alsthom Atlantique se penchent sur le problème...


1985 : Le CC Jean-Pierre Teule, commandant La Boudeuse.

Le temps passe, la situation n'évolue pas favorablement, et les relations deviennent tendus entre l'équipage et les représentants d'Alsthom Atlantique, qui se retranchent derrière le contrat qui les lient aux CMN, pour rester discrets sur les modifications apportées à la propulsion.

L'Etat-Major de la Marine tape du poing sur la table, et, le 19 juillet, le bâtiment passe en effectif réduit, sans que l'armement soit achevé. C'est en fait tous les P400 n°1 à 6 qui sont immobilisés à quai ! L'Audacieuse, La Boudeuse, La Capricieuse, La Fougueuse, La Glorieuse, et La Gracieuse.

Le capitaine de corvette Jean-Pierre Teule quitte son commandement le 19 juillet sans connaître son successeur, et, avec une certaine amertume liée à l'impression d'un travail inachevé.

1986 : Lorient

Des modifications sont intervenues sur la propulsion et la Marine obtient quelques assurances de la part du constructeur. Le réarmement du bâtiment a lieu à partir du 8 août, date à laquelle lecapitaine de corvette Yann Tainguy en prend le commandement. Le port base est Lorient.


1986 : Le CC Yann Tainguy, commandant La Boudeuse.
La Boudeuse quitte Lorient le 27 septembre, pour se consacrer à sa mise en condition opérationnelle, concrétisé par sa participation à Toulon, qu'elle atteint le 2 octobre, à un stage au Centre d'Entraînement de la Flotte (6 au 10 octobre) avec La Capricieuse. Jusqu'au 15 janvier 1987, date d'admission au service actif, La Boudeuse subit un certain nombre d'autres modifications, en particulier sur les têtes de bielles, en décembre.

1987 : Guerre Iran-Irak

Admis au au service actif le 15 janvier, le patrouilleur quitte alors Toulon le lendemain, pour entreprendre un déploiement vers l'océan Indien. Après une série d'escales à Syracuse (Italie - 23 au 26 janvier), Le Pirée (Grèce - 28 au 31 janvier), Port Saïd (Egypte - 2 février), il arrive à Djibouti, son nouveau port base, le 8 février. Premier des P400 a être déployé outre-mer, une période d'observation de son comportement en zone chaude lui est alors prescrit, ce qui l'amène a séjourner à Djibouti, séjour émaillé d'escales à Port Safaga (Egypte - 11 au 16 mars) et Massawa (Ethiopie - 22 au 25 juin), première escale d'un navire français depuis la chute du Négus en 1974.


Un Super-Etendard du porte-avions Clemenceau, en strike sur La Boudeuse pendant l'opération Prométhée (1987).

Pendant ce temps, dans la région, la tension entre l'Iran et l'Irak est à son comble. Le 25 juillet, le porte-avions Clemenceau, alors en Métropole, reçoit l'ordre de passer en alerte à 24 heures pour une mission outre-mer. Le groupe aéronaval TG 623.2, constitué outre du Clemenceau, des frégates Suffren, Duquesne et du pétrolier Meuse, rejoint la mer d'Oman. Le 13 août marque le début de l'opération Prométhée de protection du trafic marchand français dans le golfe Persique pendant les hostilités entre l'Iran et l'Irak.

Ces évènements conduisent l'état-major a prolonger le séjour de La Boudeuse à Djibouti, afin notamment de participer à la protection du groupe aéronaval lors de ses arrêts techniques dans ce port. Le bâtiment effectue ainsi des missions de surveillance maritime en mer Rouge, dans le golfe d'Aden et aux approches immédiates de Djibouti, avec escale à Berbera (Somalie - 6 au 8 septembre) et Djeddah (Arabie Saoudite - 18 au 22 octobre)


1988 : Le CC Hervé Savoie, commandant La Boudeuse.
1988 : Océan Indien

Pour son premier entretien de carène, le bâtiment passe sur slipway à La Réunion du 20 au 27 février. Quelques heures avant son arrivée dans ce port, il procède à sa première opération de sauvetage en mer en retrouvant un pécheur réunionnais à la dérive sur sa pirogue depuis plus d'une journée et ce grâce à la vue perçante du maître d'hotel mobilisé comme les autres. Bonne illustration de l'esprit d'équipage. Une escale à Mombasa (Kenya - 3 au 8 mars) avec le Doudart de Lagrée précède la prise de commandement ducapitaine de corvette Hervé Savoie, le 24 mars.

Quelques jours après une dernière escale à Djeddah (Arabie Saoudite - 9 au 13 avril), débute la première IPER (Indisponibilité Pour Entretien et Réparations), qui a lieu à Djibouti du 18 avril au 25 juin. Celle-ci est presque exclusivement consacrée à une énième modification des moteurs de propulsion (changement des bielles). Cette opération est entièrement réalisée avec le soutien du Jules Verne et des techniciens de la société Alsthom (bielles et embrayeurs).

Jusqu'au 7 décembre, La Boudeuse continue sa mission de surveillance du Golfe d'Aden et des approches de Djibouti, dans le cadre de la mission Prométhée. Elle participe ainsi aux entraînements organisés au profit du groupe aéronaval, à de nombreux exercices avec les commandos, et effectue également des exercices avec la marine djiboutienne, alternant les périodes à la mer et des escales à Salalah (Oman - 8 au 12 septembre), Port Safaga (Egypte - 2 au 8 novembre), Aqaba (Jordanie - 10 au 14 novembre) et Djeddah (Arabie Saoudite - 16 au 20 novembre).

Mayotte et la Marine

L'archipel a été découvert en 1527, mais il faut attendre la capitulation française à Maurice en 1810 pour que les Français commencent à chercher de nouveaux comptoirs dans l'océan Indien, notamment dans le canal du Mozambique.
En 1840, le sultan Adriantsouli écrit au commandant supérieur de l'île Bourbon, l'amiral Hell, pour solliciter son aide. Il espère ainsi sortir du cercle infernal des guerres incessantes entre les îles de l'archipel et des perpétuelles invasions par les pillards. Pour répondre à cette demande, le capitaine d'infanterie de marine Passot arrive à Mayotte cette même année à bord de la Prévoyante. Il est mandaté par le roi Louis-Philippe pour proposer au sultan la protection de la France. Un traité de cession de Mayotte à la France est signé le 11 avril 1814. A partir de cette année là, la Marine et ses navires écrivent avec les Mahorais quelques pages d'histoire. Les bâtiments s'appellent La Blonde, Uranie, Du Couedic, Le Voltigeur… Les marins les plus célèbres qui servent alors à Mayotte sont Protet et Rang des Adrets, un rescapé du naufrage de la Méduse qui devient en 1842 le premier commandant supérieur de Mayotte et dépendances.
A partir de 1847, des bâtiments sont successivement affectés à Mayotte suivant le concept de " bâtiments stationnaire " : Le Mayottais, La Perle, L'Estafette… et ainsi de suite dans ce vaste inventaire qui aboutit à notre époque à L'Epée puis à La Boudeuse.

A partir du 7 décembre, La Boudeuse transite vers Mayotte via Port Victoria (Seychelles - 13 au 16 décembre). Lorsqu'elle franchit, le 19 décembre, la passe de M'Zamboro, les Mahorais l'accueillent au cri de "Karibu ! La Boudeuse" ("Bienvenue, approchez", en mahorais). A la suite de bien d'autres bâtiments de la Marine, le patrouilleur est alors le nouveau bâtiment stationnaire à Mayotte, et passe sous le commandement du commandant de la Marine à La Réunion.

1989 : Océan Indien

La silhouette grise de ce P400 s'inscrit rapidement dans la vie et le paysage de Mayotte. Il assure alors des missions de présence et de surveillance maritime à Mayotte, aux îles Eparses, et aux Comores (escales à Moroni, Mohéli, Anjouan du 16 au 23 février), participe à 2 exercices de débarquement au profit des compagnies tournantes de la Légion Etrangère à Mayotte et à l'exercice inter-armées Hortensia 89, avec escales à Antsiranana (Madagascar - 2 au 4 juin), Nossy Bé (Madagascar - 5 au 6 juin), Maputo (Mozambique - 12 au 14 juin).

Dès les premiers temps de son affectation, les principales difficultés tiennent à l'entretien du bâtiment, éloigné de tout organisme de soutien. L'entretien lourd est alors effectué à La Réunion. C'est le cas du 27 février au 1er avril, ou le patrouilleur effectue une visite de 5000 heures des moteurs principaux, ou bien lorsqu'il profite d'un nouveau passage à Port-des-Galets (19 juillet au 28 août), pour effectuer un passage sur slipway (17 au 25 août).

Le 1er septembre a lieu la prise de commandement ducapitaine de corvette Jean-Michel Lab. La fin de l'année sera marquée par une grande variété de mission dont Azalée du 11 au 16 septembre, un mouillage à Juan de Nova (îles Eparses - 28 octobre), des escales à Beira (Mozambique - 8 au 11 novembre) avec l'Albatros, Moroni (Comores - 14 au 17 novembre), Fomboni (Comores/Moheli - 19 novembre), Mutsamudu (Comores/Anjuan - 21 novembre).

Du 4 au 16 décembre, La Boudeuse participe à l'opération interarmées Oside, destinée à rétablir les prérogatives de l'Etat comorien, après l'assassinat de son président. Présent dans la zone d'opération dès le début de la crise, le patrouilleur contribue largement au succès de l'entreprise d'intimidation qui aboutit au départ des mercenaires soutenant le push militaire. Le patrouilleur recevra pour son action, un témoignage de satisfaction de la part du général d'armée Schmitt, chef d'état-major des Armées.

L'année se termine par une halte à Tulear (Madagascar - 21 au 22 et 25 au 29 décembre) en compagnie du Protet, et une mission de déroctage à Anakao, dans le sud de Tulear avec un détachement du Commando Hubert (22 au 29 décembre). Cette mission avait été demandée par les autorités malgaches pour éliminer un danger sur la route habituelle des pêcheurs locaux.


1989 : Le CC Jean-Michel Lab, commandant La Boudeuse.
1990 : IPER refonte

Aux Comores et à Madagascar, l'accueil qui est réservé à l'équipage du patrouilleur est toujours excellent. La Boudeuse joue ainsi un rôle privilégié dans les relations avec les forces armées de ces pays. Des officiers de ces deux pays embarqueront pour plusieurs jours à bord. Les missions aux îles Eparses sont l'occasion de mouillages aux Glorieuses (6 février), Juan de Nova (20 février), Europa (22 février et 23 mars), Juan de Nova (25 mars). Depuis avril, des scéances d'instruction à la pratique de la voile sont dispensés à des jeunes mahorais par du personnel de la Marine, sur un voilier appartenant la collectivité territoriale : le Défi. La Boudeuse organise même une régate dans le lagon le 15 août, la remise des prix s'effectue devant le Préfet. Parallèlement, les premières démarches en vue du parrainage du bâtiment par la communauté territoriale de Mayotte sont entreprises.

Du 5 avril au 22 juin, le P400 effectue un exercice avec la Légion étrangère, qui sera entrecoupé par des escales à Mombassa (Kenya - 27 avril au 1er mai) avec le Jules Verne et à Port Victoria (Seychelles - 22 au 26 mai) avec le Commandant Bory et l'Albatros. S'en suit une mission, au titre de la participation française au programme de coopération volontaire de l'Organisation Météorologique Mondiale, de transport de 2 stations métérologiques automatiques de la société Sofreavia sur les îles Seychelloises de Coetivy (Seychelles - 27 mai) et Aldabra (Seychelles - 30 mai). A Mayotte, pendant ce temps, la présence de la gabare Tianée permet l'entretien et l'expertise de l'ancrage de la ligne de pontons auxquels s'accoste La Boudeuse, et qui était en bien mauvais état.


La Boudeuse vient de recevoir deux nouvelles cheminées lors de son IPER à La Réunion (novembre 1990).

Une dernière escale à Moroni (Grande Comores - 10 au 14 juin) et un mouillage aux Glorieuses (6 juillet) précède l'entrée en IPER à Mayotte (17 juillet au 30 septembre) avec le soutien du BSM Rhin. Une modification importante dans la silhouette du bâtiment est réalisé au cours de cet IPER, par la mise en place de 2 cheminées. En effet, on avait remarqué, sur tous les patrouilleurs de ce type, qu'à vitesse réduite et par mauvais temps, il y avait un risque de remontée d'eau dans les cylindres par les clapets d'échappement. Cette modification des échappements est probablement un pas important dans l'amélioration de l'ensemble propulsif des P400, et la silhouette du bâtiment s'en trouve, de l'avis général, améliorée. Les spécialistes du Rhin réussissent l'exploit de réaliser cette modification en 4 semaines, alors que les bâtiments sont mouillés sur coffre à Mayotte !

L'IPER se poursuit à La Réunion du 5 octobre au 3 novembre. Au sortir de l'IPER, La Boudeuse termine son année par une série d'escales et de mouillages à Antsiranana (Madagascar - 6 au 8 novembre), Juan de Nova (îles Eparses - 20 novembre), Mutsamudu (Comores/Anjouan - 3 au 5 décembre), Mahajunga (Madagascar/Nosy Be - 18 décembre), Hellville (Madagascar/Nosy Be - 20 au 21 décembre), et un exercice avec le RPIMA (Régiment Parachutiste d'Infanterie de Marine) du 27 novembre au 10 décembre.

Suite : Histoire de La Boudeuse 1991-1998

(texte Jean-Michel Roche - remerciement CC Thiollet, équipage de La Boudeuse - © Netmarine 2008)


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