Les bâtiments ayant porté le nom d'Orage

(Source : Notice sur les bâtiments ayant porté le nom d'Orage - Service Historique de la Marine)

"Orage", du latin "aura" (brise) devenu en ancien français "ore", (vent), apparaît sous cette forme au.début du XIIe siècle dans le "Voyage de Charlemagne" et signifie alors "souffle du vent". C'est aujourd'hui, chacun le sait, une "perturbation atmosphérique violente accompagrée de rafales de vent, d'averses et, souvent, de phénomènes électriques - éclairs, tonnerre" (Larousse). Le temps orageux étant bien souvent changeant et rendant les prévisions difficiles, les marins connaissent le dicton : "qui veut mentir n'a qu'à prêcher le temps ; par orage encore plus souvent"...

Soumis aux vents, les hommes de mer ont sans doute très tôt donné leur nom à leurs navires : les Aquilon, Eole, Ouragan, Mistral et autres Zéphyr se retrouvent règulièrement dans la composition des flottes ; et dès le début du règne de Louis XIV apparaît le premier Orage. Petit vaisseau devenu brûlot pour concourir à la victoire de Palerme, obscur vaisseau un peu plus tard, brick ayant traversé sans histoire les troubles révolutionnaires, lougre sans importance, torpilleur de la première génération resté hors des grands combats de la première guerre mondiale, autre torpilleur tragiquement disparu à Boulogne en 1940, enfin transport de chalands de débarquement aux capacités et aux missions multiples : sept bâtiments de la marine française, jusqu'ici, ont porté le nom d'Orage.

1 - Un premier vaisseau (1661-1676)

En 1661, à la mort de Mazarin, commence le règne personnel de Louis XIV ; il serait peut-être exagéré de dire que son premier acte de monarque absolu fut d'ordonner la construction du premier vaisseau à porter le nom d'Orage; on peut tout de même noter que c'est bien en 1661 que fut construit, à Toulon, un vaisseau de 450 tonneaux, armé de 34 canons, appelé d'abord Ecureuil et rapidement devenu Orage.

On connaît l'état lamentable de la Marine à l'avènement de Louis XIV; Colbert, qui allait tant faire pour que la France ait une flotte digne d'elle, écrivait au roi en 1663, décrivant la marine de 1661 : "Cette nature d'affaires, en laquelle réside la meilleure partie de la gloire du prince et le respect et la vénération de son non, dans les pays, (est) réduite en plus pitoyable effet que l'on se puisse imaginer ". La marine française avait en effet alors "au total, une vingtaine de vaisseaux, la plupart hors d'âge, deux ou trois en état de naviguer".

L'Orage, né un peu avant que Colbert ne soit chargé des affaires de la Marine, est mort en 1676, sept ans avant la disparition de ce grand ministre. C'était, avec ses 34 canons, un vaisseau dit de "cinquième rang", comptant entre 150 et 180 hommes d'équipage; sa carrière fut méditerranéenne, point assez glorieuse pour laisser de traces dans l'histoire : on peut penser qu'il participa en 1664 à la prise de Djidelli, sous le duc de Beaufort et le chevalier Paul - expédition aux résultats plus que douteux, destinée à combattre chez eux les corsaires barbaresques, fléau de la Méditerranée - et sans doute à d'autres actions de moins grande envergure, sur les côtes algériennes.

Mais son heure de gloire, l'Orage la connut en livrant son dernier combat, à Palerme, le 2 juin 1676 ; on sait qu'en 1672, allié pour une fois à l'Angleterre de Charles II, Louis XIV déclara la guerre aux Provinces Unies ; si l'alliance ne dura guère, l'Angleterre se retira, en 1674, les marines française et hollandaise s'affrontèrent, jusqu'en 1678, aussi bien dans le Ponant qu'aux Antilles et, paradoxalement, en Méditerranée : il s'agissait en effet d'attaquer les positions espagnoles, l'Espagne étant depuis 1673 alliée à Guillaume d'Orange. Messine s'étant révoltée contre le roi d'Espagne, Louis XIV décide d'intervenir une première fois en 1674 : Valbelle, parti de Toulon, aide les Messinois à chasser la garnison espagnole ; en 1675, le duc de Vivonne, nommé vice-roi de Sicile, appareille à son tour pour Messine et livre aux espagnols la bataille de Stromboli ; en janvier 1676, c'est Duquesne qui, aux îles Lipari, se heurte aux Hollandais de Ruyter ; d'autres combats encore eurent lieu, auxquels participa peut-être l'Orage devenu vieux. Il était en tout cas, en juin de cette année, transformé en brûlot lorsque le duc de Vivonne, avant de rentrer en France, décida d'attaquer en baie de Palerme, la flotte hispano-hollandaise qui y était réfugiée. Vivonne, envoya Tourville et Gabaret reconnaitre la position ennemie à bord d'une felouque. Tous deux conseillèrent d'attaquer les navires à l'extrémité la plus lointaine de la jetée tandis que les autres vaisseaux français canonneraient le reste de la ligne. Puis, profitant de la fumée et redoublant leur bombardement, les français lanceraient leurs brûlots contre l'ennemi. Comme Vivonne tenait les brûlots pour "la loi et les prophètes", il accepta aussitôt cette proposition. Preuilly d'Humières attaqua donc l'extrémité de la ligne ennemie avec neuf navires, tandis que les autres ouvraient le feu, et les brûlots furent lancés au bon moment en profitant d'un vent favorable. Ce fût la panique dans la flotte alliée. Coupant les amarres, leurs navires s'en allèrent à la dérive, certains vers le rivage au fond de la baie, d'autres pour s'entasser pêle-mêle derrière la jetée. Un hollandais, le Steenberg, incendié, dériva contre deux autres navires hollandais qui s'enflammèrent. L'Amiral espagnol et Den Haen furent tués, et le feu détruisit également le vaisseau amiral espagnol avec trois autres navires et deux galères.

La bataille de Palerme avait été remportée par les brûlots. Pourtant, elle marque la fin de cette arme, bien qu'on se soit servi d'elle pendant encore quelque temps. Les brûlots s'étaient montrés impuissants dans les batailles de la mer du Nord et, en Méditerranée, Ruyter, tout en étant fortement engagés les avait esquivés sans difficulté. De plus, l'artillerie navale faisait de tels progrès que leur emploi, même contre les navires au port, semblait désormais hasardeux. Comme pour les galères, les jours des brûlots étaient comptés ; ceux de l'Orage étaient finis.

2 - Un deuxième vaisseau (1673-1678)

Soit que le premier Orage, transformé en brûlot dès 1673, ait perdu son nom, soit que son successeur n'ait pris effectivement ce nom qu'en 1676, c'est en 1673, officiellement, qu'apparaît le deuxième Orage : il s'agit cette fois d'un ex-espagnol, le Saint-Antoine, armé à Rochefort de 24 canons et jaugeant 250 tonneaux - une grosse frégate, ou un petit vaisseau de cinquième rang.

Il vécut peu et on ne sait plus grand chose de lui : en 1676, il escorta, avec la Fripone, un navire appelé le Fendant ; et dès 1678, d'après une lettre de Colbert, il était rangé parmi les brûlots - dont on sait que la carrière était pratiquement terminée ! Cet Orage là ne compte guère...

On parle aussi d'un Orage, ex. Ville de Caudebec construit au Havre en 1682, devenu brûlot et condamné en 1710.

3 - Un brick (1795-...)

Le troisième fut un brick de 14 canons de 6 - un tout petit bateau, appelé d'abord l'Oiseau et construit à Marseilles; il fut certainement utile mais sa carrière fut sans gloire. Construit sous le rêgne de Louis XVI, il survécut aux heures sombres que connut la Marine aux débuts de la Révolution ; en Thermidor an III (août 1795), il était encore à Marseille et servait aux "Ecoles". C'est le moment où la Convention, le 23 du même Thermidor, décide la guerre de course, renonçant à "ces étalages de puissance maritime qui ne flattent que l'orgueil personnel et consomment inutilement les ressources de la République" : L'Orage ne pouvait guère étaler de puissance ; la Convention moribonde, ayant fini par comprendre, comme l'écrivait Villaret de Joyeuse, que "le patriotisme à lui seul ne peut manoeuvrer un navire", avait ainsi décidé de créer et d'entraîner un nouveau corps d'officiers de marine pour remplacer celui que les exès révolutionnaires avaient décimé : L'Orage, aux "Ecoles", y contribua sans doute.

4 - Un lougre (1799-...)

On rencontre, un peu plus tard, en 1799, un quatrième Orage : le matricule des navires signale en effet, le 1er Germinal an VII (21 mars 1799), un lougre de six pierriers de ce nom, en activité à Cherbourg ; la marine française vient de perdre la bataille d'Aboukir (1er août 1798), Bonaparte va débarquer à Fréjus (8 octobre 1799) : Brumaire approche. Un lougre à Cherbourg, ne pouvait jouer un rôle bien important...

5 - Un torpilleur (1891-1920)

Caractéristiques
Longueur hors tout : 44.18 m
Largeur : 4.50 m
Tirant d'eau : 1.10 m
Machines : Une machine à pilon, à triple expansion, à 3 cylindres placés dans l'axe
Chaudières : 2 corps système Thonycroft à 1 foyer
Puissance maxi : 1100 CV
Vitesse aux essais : 21.58 nds
Vitesse max en 1902 : 18 nds
Vitesse économique en 1902 : 10 à 11 nds
Artillerie en 1902 (plusieurs fois modifiée)
2 canons de tir rapide de 37 mm (1 de chaque bord du kiosque)
1 canon de 37mm au dessus de manche avant
2 tubes lance torpilles de 381 mm : 1 fixe d'étrave placé sur le pont, 1 arrière monté sur plate-forme à pivot central disposé sur le pont.
1 projecteur de 40 cm de 35 ampères et 45 volts.
Qualité nautiques
Se comporte bien à la mer, mais l'allure vent debout ne peut être soutenue que par très beau temps ; roulis supportable.
Qualités évolutives
Insuffisantes dans les manoeuvres d'attaque. Valeur militaire faible en raison de la vitesse insuffisante.

On se rappelle les querelles du dernier tiers du XIXène siècle à propos des armements navals : La majorité de l'opinion publique ou parlementaire, que ne guide plus, comme sous l'Empire, un pouvoir fort et jouissant de l'avantage inexprimable de la durée, hésite à admettre notre vocation maritime, qualifie de "somptuaires" les dépenses engagées dans la construction de bâtiments cuirassés de haute mer et voudrait une marine au rabais ; elle trouve une excuse à son préjugé continental dans la menace que l'armée allemande exerce sur nos frontières. Jusqu'en 1890-1895 nous nous entêtons, par économie, à construire des garde-côtes, comme si une flotte de combat puissante ne suffisait pas à assurer l'inviolabilité du littoral, sauf contre des coups de main sans conséquence.

Cependant, faute de crédits, les cuirassés s'éternisent sur cale et, de l'aveu du ministre Lanessan, il leur manque invariablement les 2, ou 3000 tonnes nécessaires "pour qu'ils possèdent des caractéristiques offensives et défensives convenables". L'hostilité aux grands bâtiments atteint son plus haut degré après 1885, sous l'influence de l'énorme littérature publiée par la Jeune Ecole en faveur des armes nouvelles : l'opinion se passionne pour la torpille et les torpilleurs, capables, lui affirme-t-on, de rendre nos côtes inaccessibles aux moindres frais, de poursuivre les cuirassés au large, de détruire le commerce. En 1891 nous en avons 211 et toute l'étendue du littoral est garnie d'un immense cordon de "défenses mobiles" !

Le cinquième Orage est justement l'un de ces torpilleurs construit aux Forges et Chantiers de la Seyne sur les plans de l'Ingénieur Lagane, sur cale en juin 1890 sous le norm de Porquerolles, qu'il ne garda pas, il fut mis à l'eau le 15 octobre 1891 et effectua ses essais de novembre 1891 à février 1892. L'Orage ne participe pas à la grande aventure coloniale de l'époque, et va vivre jusqu'à sa fin en Méditerranée.

Ses caractéristiques, ses qualités nautiques moyennes (en 1902, il "se comporte bien à la mer, mais l'allure vent debout ne peut être soutenue que par très beau temps ; roulis supportable"), ses qualités évolutrices "insuffisantes dans les manoeuvres d'attaque", enfin sa "valeur militaire faible en raison de la vitesse insuffisante", ne le disposent guère, en effet, à être utilisé outre-mer, ni même en haute mer.

Le mai 1892, essais terminés, l'Orage est affecté à l'Escadre de Réserve de la Méditerranée Occidentale et du Levant, qui devient, en 1897, Division de Réserve, et est dissoute dès 1898. L'Orage est alors placé en réserve à Toulon. En juin 1901, affecté la Défense Mobile de la Tunisie, il rejoint Dizerte, où la France s'est installé vingt ans auparavant ; puis, en juin 1903, il rejoint la Défense Mobile de Toulon, avant de rallier en 1909 la 1ère Flottille des Torpilleurs de la Méditerranée (École de Chauffe).

Pendant la première guerre mondiale, 1'Orage fait partie du Front de Mer, à Toulon. En février 1919, déjà bien agé, il passe à la Flottille de Provence, puis à la Division des Écoles de la Méditerranée, avant d'être condamné en juin 1920, remis aux Domaines et vendu en janvier 1921 pour la somme de 27 000 francs.

6 - Un torpilleur (1924-1940)

Caractéristiques
Longueur : 105.5 m
Largeur : 10.10 m
Tirant d'eau : 4.20 m
Machines : Turbines à engrenage, 2 hélices
Chaudières : 3 chaudières type Marine, chauffe au mazout
Puissance maxi : 31000 CV
Vitesse aux essais : 33 nds
Rayon d'action : 3000 nq à 15 nds
Artillerie
IV x 130mm axiaux superposés 2 par 2 aux extrémités
II x 37mm anti-aériens
VI tubes lance-torpilles de 550mm en 2 affûts triple axiaux sur l'arrière des cheminées.
Equipage
7 officiers, 131 hommes d'équipage

En 1922, à la suite de l'échec de plusieurs conférences navales, le parlement français, qui s'était longtemps désintéressé de la Marine, vota une tranche d'un peu plus de 81000 tonnes de constructions neuves, prélude à la modernisation de la flotte qui devait se poursuivre jusqu'en 1910 ; cette tranche comprenait un porte-avions, 3 croiseurs légers, 6 contre-torpilleurs, 11 sous-marins et 12 torpilleurs du type Bourrasque. L'Orage faisait partie de ce groupe de 12 : il fut construit aux Chantiers de Blainville en 1923, lançé fin août 1924 et fit ses essais de février à juin 1926.

Il quitta Cherbourg le 9 novembre 1926 pour être affecté à Brest à la Division Navale de la Manche et de la Mer du Nord ; mais i1 y reste peu et passa bientôt à l'escadrille des Torpilleurs de la Méditerranée, avant d'être affecté à la Deuxième Escadre (2ème division de Torpilleurs en 1932, groupe de complément en 1936).

On parle peu du rôle de la marine française lors de la guerre d'Espagne ; elle en joue un pourtant, et l'Orage s'y distingua. En juin 1937, avec l'Audacieux, il fut envoyé d'urgence vers La Pallice et Le Verdon pour surveiller les mouvements de torpilleurs espagnols arrivés inopinément. Le 25 octobre de la même année, avec ses frères La Bourrasque et L'Ouragan, il appareille pour le littoral centrabrique afin de porter secours aux nombreux fuyards qui avaient pris la mer sur des bateaux de toutes espèces et dimensions après la prise de Gijon par les nationalistes espagnols.

Détaché à la 4ème Division de torpilleurs à Brest, il en appareille le 3 Septembre 1939 pour escorter le pétrolier Saintonge jusqu'à 60 milles dans le 230 du Raz de Sein : après avoir escorté la force de raid le 5, il appareille le 11, pour protéger un convoi français du Golfe de Gascogne à destination de Casablanca, puis le 19 part de Gibraltar escortant un convoi français sur la Méditerranée, et le 20 appareille du Verdon, accompagnant le convoi 5X à destination de Casablanca d'où il repart le 26 pour Le Verdon avec le convoi 19K, puis le 3 novembre c'est le convoi 9x-F qu'il escorte sur la même route. Le 10 il accompagne le convoi 26K de Casablanca pour Le Verdon et Nantes.

Retour le 26 avec le convoi 15XF; le 3 décembre il appareille de Casablanca escortant le convoi 34KF. Le 5 décembre, au large de Casablanca, il est abordé par le paquebot Marrakech. Réparé à Bizerte, il rallie Brest le 15 Avril 1940 ayant escorté le paquebot Président Doumer au départ d'Oran, Versé aux patrouilles de l'Océan, l'Orage appareille de Brest le 21 avril, escortant le convoi FS3 pour La Clyde. Le 30, il accompagne le convoi 41BF vers la Méditerranée. Le 10 mai, il appareille de Casablanca escortant le convoi 95KF pour La Gironde, La Loire et Brest.

Le 20 mai 1940, il est mis à la disposition d'Amiral Nord et le jour même, il appareille de Brest pour Cherbourg qu'il quitte le 23 pour rallier la lère Flottille de torpilleurs qui, sous le commandement du capitaine de vaisseau de Portzamparc, opère en soutien de feu devant les ports du Nord.

Ayant appris par la radio, l'attaque de Boulogne par de puissantes colonnes motorisées, le commandant modifia sa route et mis le cap sur ce port afin de rallier son chef de patrouille le commandant Urvoy de Portzamparc. Vers 17 heures, l'Orage prend poste en queue de ligne, derrière le Frondeur. Vers 18 heures, un groupe d'une trentaine d'appareils piquent à la verticale des bâtiments et lachent leurs bombes. L'Orage est atteint ; des incendies éclatent, le feu gagne les soutes à mazout, la chaufferie avant ; les munitions du parc explosent ; bientôt le personnel n'a que le temps de mettre bas les feux et évacue sur ordre ; l'évacuation s'effectue en ordre par les embarcations des torpilleurs survivants et par les chasseurs 5 et 42.

Le commandant, le capitaine de corvette Viennot de Vaublanc, gravement blessé, veut disparaître avec son bâtiment ; il faut que le capitaine de vaisseau Urvoy de Portzamparc, Chef de la Flottille, ordonne aux officiers de l'Orage de sauver leur commandant. Vingt-huit membres de l'équipage avaient disparu.


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