Une mission de police des pêches
Dans ces immensités
des hautes latitudes sud l'Alabtros trace sa route. Il saura également
si nécessaire porter assistance aux gens de mer. Pour rejoindre la zone
depuis la Réunion, il lui faut déja sept jours, mis à profit
pour parfaire l'entraînement. C'est ainsi que l'équipage conforte
sa sérénité, son assurance et sa cohésion, nécessaire
à l'action dans des conditions difficiles, voire extrêmes. L'équipe
de visite, que je dirige, constitue la partie émergée de l'iceberg.
Du boulanger qui arme la 12.7mm bâbord au mécanicien qui soigne
le moteur hors-bord d'un dinghy, chacun est impliqué et sait que
la moindre défaillance peut coûter à tous. C'est par une belle matinée d'été austral que nous entrons dans la ZEE de Keguelen. La recherche commence. Notre piste est là, longeant, sur 1300 nautiques de long, la ligne de fonds des 700 mètres. Après deux jours de recherche, en fin de soirée, un écho apparait enfin. Le commandant et l'officier opérations me rejoignent à la passerelle. Est-ce un des rares navires autorisés ? Est-il en pêche ? Nous a t-il déja détecté ? Trés vite, il est classé contrevenant. Nous mettons le cap sur lui à vitesse maximum. Six nautiques nous en séparent lorsqu'il nous découvre, et prend aussitôt la fuite à 9.5 noeuds. L'Albatros filant 13 noeuds travers à la lame par mer 5, roule de 30 degrés de chaque bord. "Dans un quart d'heure, nous rappellerons au poste de visite", les hauts parleurs résonnent à bord, il est 19 heures. L'intervention se fera de nuit, nous en avons l'habitude.
C'est le départ.
Les deux dinghys sont regroupés à couvert de l'Albatros
et ordre et donné de "pousser vers le client". Le bâtiment
est en mauvais état et la montée à bord avec la grosse
houle sera sportive. Les commandos grimpent les premiers "à l'abordage"
pour couvrir le reste de l'équipe. L'équipage, rassemblé
plage avant est sous bonne garde. Chaque groupe de l'équipe de visite
connaît parfaitement son rôle et la progression commence. Je monte
à la passerelle et je trouve le capitaine ; un homme visiblement trés
inquiet dont le regard est à l'image de son dur métier. Les comptes-rendus se succèdent. Le pont et la machine sont sous contrôle. J'ordonne une visite de sécurité de l'ensemble du bâtiment pour vérifier s'il n'y a pas d'autres passagers. Ensuite, vient l'interrogatoire du capitaine qui prétend être en transit vers l'île Maurice. Je lui demande de porter sa position GPS sur une carte de navigation ; force lui est de constater qu'il se trouve bien dans la ZEE. Les quelques heures de poursuite lui ont laissé le temps de préparer un scénario en écrivant un faux journal de navigation et en cachant son carnet de pêche. Je le laisse m'expliquer la raison de sa présence et au fur et à mesure, il se trouve confronté à des incohérences dans la rédaction de ses journaux et sur ses bouées manquantes. De la légine fraîche a été trouvée au fond de la cale et l'usine à poisson vient d'être nettoyée. Le capitaine nie encore, car il sait que ces preuves sont encore insuffisantes. Il nous faut le carnet de pêche. Une fouille méthodique commence, et c'est sous un matelas que nous découvrons la pièce à conviction. Le capitaine sait que tout est terminée pour lui. Il faut maintenant le persuader de coopérer. Cela fait maintenant
deux heures que nous sommes à bord. L'examen du carnet de pêche
nous indique que des lignes sont toujours à l'eau. Elles devront être
repéchées pour confirmer l'infraction. Il est nécessaire
que l'équipage se remette au travail, avec peut-être la perspective
de n'être pas payé. Il faut faire preuve de diplomatie et je convoque
le responsable de l'usine en passerelle. Il fait nuit noire, l'Albatros nous suit de près et il nous faudra deux heures pour rallier la première bouée. Je demande au capitaine de se présenter pour repêcher l'engin. Les premières légines arrivent à bord, le matériel de pêche utilisé est en tout point identique à celui déjà découvert ; l'ambiance en usine est détendue et l'équipage, en majeure partie composé de Namubiens, entonne un chant de brousse. A bord de l'Albatros, les preuves accumulées sont consignées dans les procès-verbaux. Nous remonterons d'autres lignes jusqu'au lendemain après-midi, puis le commandant montera à bord pour faire signer des procès-verbaux et poser des scellés sur les pièces à conviction. Le bâtiment sera dérouté vers la Réunion et seule une équipe de prise restera à bord . L'opération aura duré environ 20 heures, le capitaine peut désormais circuler librement sur son bâtiment. Mon adjoint et moi-même resterons à bord jusqu'à la fin tandis que les quatre autres membres de l'équipe de prise seront relevés tous les 3 jours. Six jours plus tard, le patrouilleur de gendarmerie Jonquille vient à notre rencontre pour prendre le relais. L'Albatros fait demi-tour. Dans quelques jours notre veille recommencera dans les 50èmes "hurlants"... En 230 jours de mer sur 18 mois, nous avons parcouru l'équivalent de deux fois le tour du monde. Pendant cette période, cinq palangriers ont été visités, dont quatre déroutés vers la Réunion et présentés devant la justice française. (Source Cols Bleus - d'après un article de l'enseigne de vaisseau Germain du patrouilleur Albatros) |