L'histoire du patrouilleur Albatros (1966-1986)
Le 15 avril 1966, a lieu la pose de la quille du Névé, chalutier congélateur construit pour la Société Navale Caennaise (SNC), anciennement G. Lamy & Cie. Le bâtiment est lancé le 12 décembre 1966 sous le numéro de coque LH277. Son aménagement d'origine comprend une cale machine à l'avant avec 3 moteurs diesels MAN, qui alimentent deux moteurs électriques de 2200 CV, un réducteur et une seule ligne d'arbres, l'ensemble propulsif étant situé dans un petit compartiment à l'arrière. La plus grande partie du navire est constitué de la cale fret et d'un congélateur (-28°C) de 300 m3 au milieu. Les moteurs diesel seront néanmoins remplacés par l'armateur en 1970.
En 1972, le bâtiment est transféré à Normandie-Pêche (Société Havraise de Pêche, elle même filiale de la Société Navale Caennaise). Il est alors basé au Havre et passe sous le numéro de coque à LH188586. Il effectue, jusqu'en 1983, des campagnes de pêche en Atlantique Nord : du Cap Nord à Terre-Neuve et la Norvège, via l'île de l'Ours et le Labrador. Au total, plus de 43 voyages à la grande pêche. En juillet 1983, le Névé, est vendu par la SNC à la Marine nationale et rebaptisé Albatros. Lors de son dernier voyage au Groenland, il avait 900 tonnes de poissons dans ses cales. L'odeur imprègne encore le navire lorsqu'il quitte Caen, conduit par un équipage de la SNC, pour rejoindre Toulon, où il est alors transformé, et refondu en patrouilleur par la DCAN Toulon à partir du 21 avril 1983. On suprime les installations de pêche, crée de nouveaux locaux, met en place une artillerie de 40mm et divers équipements électroniques.
![]() 1984 : Premières patrouilles La transformation du chalutier se poursuit, mais la découverte inattendue d'une fatigue prononcée du bâtiment, et un manque de fiabilité de l'appareil propulsif, nécessitent des travaux plus importants que ceux envisagés initialement. Les essais à la mer ont lieu du 9 au 13 janvier, du 6 au 7 puis du 16 au 23 mars. Le bâtiment entre en armement définitif le 26 mars. Des derniers essais à la mer ont lieu le 14 et 15 mai. La refonte est clôturée officiellement le 18 mai. Il aura fallu 170 000 heures de travail à la Direction des Constructions Navales pour procéder à la refonte du chalutier.
Les divers problèmes retardent d'environ 5 mois l'admission au service actif du bâtiment qui intervient le 19 mai, date à laquelle l'Albatros quitte Toulon, direction l'île de La Réunion qu'il atteint le 18 juin, via Djibouti (29 mai au 8 juin). Il passe le 25 mai, sous l'autorité de l'amiral commandant les forces maritimes de l'océan Indien. La première patrouille dans les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises) a lieu du 26 juin au 3 août. Six semaines au cours desquelles l'Albatros mouille à Port Alfred (Crozet - 2 juillet), Port aux Français (Kerguelen - 6 au 8, 13 au 15 et 20 au 21 juillet), Martin de Vivies (Amsterdam - 26 et 27 juillet). Les rencontre avec les bâtiments soviétiques ne sont par rares, car en vertu d'accords conclus entre la France et l'URSS, les russes sont à l'époque autorisés à pêcher un quota d'environ 23000 tonnes de poissons par an dans la ZEE des Kerguelen. Il n'en est pas de même dans la zone de de Saint Paul et d'Amsterdam où seul le chalutier français Austral peut se livrer à cette activité.
Boris, transfuge sovéitique qui n'aura pourtant pas à demander l'asile politique, devient matelot et est affecté à la protection du bâtiment avec le matricule 058410681. Il sera successivement promu aux grades de quartier-maître de deuxième classe, quartier-maître de première classe et même second maître, mais il sera dégradé pour mauvaise conduite (il avait en effet mordu un membre de l'équipage).
Le 23 août
a lieu la prise de commandement du 1985 : Première prise Débutant l'année par une 3ème patrouille TAAF du 18 janvier au 26 février, l'Albatros y effectue diverses opérations logistiques au profit de l'administration des TAAF et des districts : transport de personnel, de courrier, de vivres et de fret, inspection d'une station scientifique et des corps morts de la batellerie de Port-aux-Français. De retour à La Réunion, le patrouilleur entre en PEI (27 février au 4 avril).
Voici ce que le commandant Michel Durand-Gasselin écrivait sur cette période : « L'Albatros, était remarquablement marin, à l'aise dans la tempête (à l'époque, il fallait toutefois rester vigilant à cause des risques de " black out "), il m'a fait connaître mes plus hautes vagues (dans l'ouest de Kerguelen), bien au dessus de la " hauteur de l'œil " à la passerelle, et, le même jour, ma plus forte dérive sur la route pour retourner se mettre à l'abri (obligé de venir presque mer de travers pour doubler un cap). Son équipage, qui avait fait l'armement, était de premier brin. Sachant combien il désirait avoir un chien à bord, idée à laquelle je n'étais pas opposé, bien au contraire (du moment qu'il ne s'agissait pas de la pauvre chienne qui traînait sur le quai au Port), je lui ramenai un jour Boris (2 ou 3 mois) d'une visite sur un chalutier soviétique …
CROZET.
En arrivant dans l'archipel, j'aimais bien commencer par une visite … à l'immense
colonie de manchots de l'île aux Cochons, avec le cercle de cinq mètres de rayon
qui se referme derrière soi, et le manchot endormi que l'on peut approcher et
caresser. Ensuite, il y avait l'accueil si chaleureux des gens d'Alfred Faure,
sur cette île du " bout du monde " où le vent a fini par faire évoluer les mouches
au point qu'elles n'ont plus d'ailes ! Quel bonheur ils affichaient quand on
les emmenait dans cette baie dont j'ai oublié le nom, sur la côte sud de la
Possession, et surtout le jour où nous les débarquâmes à l'île de l'Est ! Rompant avec le
rythme des missions TAAF (mais peut être était-ce pour récompenser
l'équipage de sa belle prise ?), l'état-major envoie l'Albatros
en mission du 13 mai au 8 juin, avec escale à Mayotte, Monbasa
(Kenya) et Mahé des Seychelles. Le jour de l'appareillage de Mahé,
le bâtiment se déroute pour évacuer un membre d'équipage d'un thonier
senneur français, gravement blessé par la chute d'un thon de 30 kg sur la nuque
et en basculant par dessus bord. Le retour vers La Réunion est fait à
vitesse maximum. De retour à Port-des-Galets, le patrouilleur entre en
IPER à La Réunion du 10 juin au 31 août avec essais après
IPER du 2 au 7 septembre. Le
1986 : Parrainage par Saint Denis - Le tir au but de l'Albatros Au cours de la 6ème patrouille TAAF du 3 janvier au 20 février, l'Albatros réalise pour la première et unique fois de sa carrière, une opération commerciale de transport frigorifique de frêt au profit de la Société Anonyme de Pêche Maritime et de Ravitaillement (SAPMER), armateur du navire de grande pêche Austral, en transbordant au mouillage à l'île Saint Paul, 50 tonnes de poissons et de têtes de langoustes, et en les acheminant vers La Réunion. L'autre moment fort sera l'escorte du paquebot soviétique Baykal qui s'était détourné de sa route antarctique pour un besoin urgent de ravitaillement en eau à la cascade Lozère en baie du Hopeful.
De retour à La Réunion pour une courte période d'entretien (21 février au 29 mars), il repart pour une 7ème patrouille TAAF du 29 mars au 14 mai. Au cours de cette mission, l'Albatros participe au programme scientifique Hydropêche/Ker 86, en effectuant des prélèvements d'échantillons de plancton par traits de filets Bongo et d'enregistrements de sonde largables Sipican XBT traités automatiquement sur micro-ordinateur. Le 4 mai 1986, Boris le chien mascotte est promu au grade de quartier-maître de 1ère classe. Le commandant adresse ses félicitations au nouveau promu. Le mercredi 14 mai, une courte cérémonie réunit l'équipage et Monseigneur Aubry, évèque de La Réunion, qui procéde à la bénédiction de la statuette de "Notre-Dame des Vents", Patronne des Marins et plus particulièrement de ceux qui naviguent dans les mers australes, du coté des îles Kerguelen.
Embarquée à bord, cette statuette accompagnera et protégera le patrouilleur dans ses longs et pénibles voyages aux Terres Australes Françaises. A cette occasion, les fidèles ont pour la première fois chanté la prière "O vierge de Kerguelen", inspirée d'un ancien cantique breton, et dédié à Notre Dame des Vents, patronne désormais de l'Albatros. Le 17 mai a lieu le parrainage officiel de l'Albatros par la ville de Saint Denis de La Réunion, qui donne lieu à une cérémonie protocolaire à l'Hôtel de ville de Saint Denis avec signature de charte. Le patrouilleur quitte La Réunion le 19 mai pou une mission de présence avec escale à Dzaoudzi (Mayotte - 23 au 25 mai), et un passage au bassin à Mombasa (Kenya - 28 mai au 6 juin). Ce passage au bassin précédant l'IPER à La Réunion qui commence le 13 juin et se termine par une série d'essais à la mer du 1er au 5 septembre. Le 18 juillet, lors de l'appareillage causé par l'arrivée du cyclone Celestina, Boris, le chien mascotte du bâtiment, se casse la patte (on le comprend, par 15 à 20 m de creux et 50 nuds de vent pendant 3 jours !). Il doit être plâtré à bord. Le 8 août
a lieu la prise de commandement du
La 8ème patrouille TAAF du 16 septembre au 23 octobre ne sera pas une patrouille ordinaire. Le 9 octobre, alors qu'un vent particulièrement violent souffle, il surprend le Southern Raider, un chalutier battant pavillon panaméen dans la ZEE de Saint Paul. Le Souther Raider restant sourd aux appels radio, la décision est prise de procéder aux mesures d'intimidation et tirs réglementaires de semonce, destinés à faire stopper le bâtiment. En vain ! L'ordre est alors donné, directement par le premier ministre d'effectuer un tir au but. Un début d'incendie apparait sur l'avant du bâtiment. Le commandant du chalutier décide alors de faire évacuer son bâtiment sur deux radeaux de sauvetage. L'équipage est composé de 22 hommes dont 14 sud-coréens, 1 suédois, 6 australiens et une femme néo-zélandaise. Une heure après, le bateau coule par l'arrière (alors qu'il avait été touché à l'avant). Il n'est pas exclu qu'il se soit sabordé pour faire disparaître toute preuve matérielle de pêche illégale voir plus... En effet le capitaine du chalutier John Chadderton n'était pas un enfant de choeur puisqu'il avait déjà été impliqué dans un important trafic d'héroïne. Cet arraisonnement et le naufrage du langoustier vient raffermir de manière spectaculaire la crédibilité des patrouilles dans les ZEE des Terres Australes. Si cet évènement donne cependant lieu à une campagne de presse négative envers l'action menée par l'Albatros, il lui apporte une certaine notoriété, et un franc succès parmi les pêcheurs locaux. Le ministre de la défense décernera un témoignage de satisfaction au CF Stervinou : " Pour l'efficacité, la détermination, et le sang froid dont il a fait preuve lors de l'arraisonnement du Southern Raider. A montré ses grandes capacités de marin en récupérant sains et saufs, dans des conditions de mer extrêmement difficiles, les 23 membres d'équipages du Southern Raider, contraints d'évacuer leur navire ".
Le quotidien "Le Monde", dans son édition du 1er novembre 1986, nous raconte une histoire des plus rocambolesque. "La Marine aurait confondu le Southern Raider avec un autre bateau du même nom, soupçonné de trafic d'armes au bénéfice des indépendantistes canaques. Le chalutier aurait été coulé volontairement, mais en s'apercevant de son erreur, la Marine aurait alors fait appel à un spécialiste de la DGSE venu à bord pour essayer d'arranger l'affaire à l'amiable". Le quotidien régional "Le Journal de l'Ile de La Réunion" du 26 février 1987, soupçonne "un des membres d'équipage du Southern Raider d'être un agent secret autralien". Le capitaine du Southern Raider et son second seront condamné, le 12 décembre, à 6 mois de prison ferme et 15000 francs d'amende. Peine perdu, les deux coquins, qui étaient pourtant sous le coup d'une mesure de contrôle judiciaire, avaient quitté l'île le mois précédent. L'Albatros a lui d'autre soucis, car le moteur de propulsion bâbord était tombé en avarie le 19 octobre. Il est vrai que la vétusté des moteurs principaux et leurs avaries répétitives demeuraient, depuis plusieurs années, une source d'inquiétude. Le patrouilleur se refait une santé à quai à La Réunion, lors d'une période pour entretien et réparation du moteur bâbord du 24 octobre au 30 décembre. Suite : Histoire de l'Albatros 1987- 1995
![]() [Sommaire
patrouilleur Albatros].
|