La deuxième vie du Redoutable

Septembre 1999 : Un greffon sur Le Redoutable

Désarmé dans l'arsenal de Cherbourg, Le Redoutable avait été amputé de sa tranche réacteur - découpée et tranférée sur un terre plein voisin - avant d'être remis à la direction du port militaire pour un long gardiennage. Mais dans le cadre de la future Cité de l'homme sous la mer, il ne pouvait être question de présenter au public Le Redoutable raccourci de 8 mètres.
Pesant 70 tonnes, un tronçon de la coque du S607 Turquoise, dont la construction avait été interrompue l'année même de la mise à la retraite du Redoutable, a été positionné au dessus de la forme ou le premier SNLE français a été redécoupé en deux.
Le 18 septembre, deux grues ont été utilisées pour descendre ce greffon entre l'avant et l'arrière du sous-marin, cette dernière ayant été reculée grâce à de puissant vérins. La nouvelle section de coque ainsi emboitée est longue de 8 mètres ce qui permet au Redoutable de retrouver sa taille initiale. Mais le diamètre d'un SNA étant nettement inférieur à celui d'un SNLE, il faudra lui souder une seconde peau pour assurer la continuité de la carène.
L'illusion sera parfaite lorsque le sous-marin reprendra la mer en juillet 2000, pour gagner la fosse chargée de l'accueillir au nord de l'ancienne gare maritime transatlantique. Cet ultime voyage à la mer sera assuré avec l'aide des remorqueurs de la DP.


Octobre 1999 : La deuxième vie du Redoutable

Né de l'opportunité de pouvoir ouvrir au grand public un sous-marin stratégique tout en sauvegardant une gare transatlantique considérée comme l'un des fleurons de l'architecture des années trente, le projet de créer autour du Redoutable, un musée consacré à l'aventure industrielle de la propulsion nucléaire navale, à l'exploration sous la mer et à la Force océanique stratégique a été finalement adopté par la Communauté urbaine de Cherbourg, après cinq années de controverses.

Véritable serpent de mer, la Cité de la mer ou musée du Redoutable remonte à la fin des années 1980. Lancé en 1967 par l'arsenal de Cherbourg, le premier sous-marin atomique français allait être désarmé et démantelé mais certains ont pensé que la somme importante que la Marine nationale allait consacrer à cette délicate opération pourraient être utilisés autrement. Pourquoi ne pas, par exemple, imiter l'US Navy, qui avait transformé son Nautilus en musée, à Groton, à l'entrée de l'arsenal du Connecticut ? Des associations se mirent aussitôt en place à Brest et à Cherbourg, l'avantage allant à cette ville dont l'arsenal avait été choisi pour décontaminer, découper et stocker le compartiment réacteur du sous-marin, 25 ans après l'avoir construit.
Alors ministre du Tourisme, Olivier Stirn, président de la Communaute urbaine fit étudier un projet que les élus locaux trouvèrent dans l'ensemble irréalisable. Cependant, un petit groupe très actif, créé par des anciens de la Marine et de l'Arsenal, s'efforça de faire renaître le projet Stirn sur des bases moins ambitieuses. Des années de travail et un lobbying qui ont fini par payer. En 1995, les conseils municipaux de l'agglomération cherbourgeoise ont accepté de transférer à la Communauté urbaine "la compétence de créer et de gérer un musée naval dans une gare transatlantique". Un appel d'offres international fut alors lancé, auquel ont répondu 55 cabinets d'architectes européens.

Une première tranche de 130 millions de francs

Les atouts du projet sont une utilisation à la fois ludique et culturelle de l'ancien môle transatlantique - une sorte de friche industrielle au coeur de la ville, face aux gigantesques nefs de construction et d'assemblage des SNLE de nouvelle génération - ainsi que la possibilité de moduler dans le temps, les phases d'une ambitieuse cité du monde sous-marin. La première tranche qui consiste à transférer et à installer Le Redoutable dans une cale sèche qui devra être creusée dans le prolongement de l'ancienne gare maritime et à réhabiliter partiellement le hall des trains de cette dernière - aussi vaste que la grande halle de La Villette - devrait permettre d'accueillir les premiers visiteurs à l'aube de l'an 2000. Largement subventionnée par l'État et l'Union européenne au titre des fonds Feder, la première tranche de la Cité de la mer de Cherbourg coûtera 106 millions de francs, auxquels viendront s'ajouter les 25 millions de travaux que le ministère de la Défense dépensera pour la préparation de la mise en configuration muséographique, le transfert et la mise en place du sous-marin qui restera propriété de la Marine. C'est un architecte parisien qui a été choisi, Jean-François Mibu, la muséographie de l'ensemble du programme étant confiée à Jacques Lichnerowicz, déjà lauréat à La Villette et au musée d'Orsay.

Un véritable complexe autour du sous-marin

Dans ce projet dont le maître d'ouvrage est la Communauté urbaine de Cherbourg, il s'agit pour la Marine de s'assurer du respect de son image et de promouvoir la perception la plus exacte possible du sous-marin. Le Redoutable sera prêté à la Cité de la mer comme s'il était en état de marche, excepté pour son compartiment réacteur qui a été débarqué en 1991. De nouvelles ouvertures seront ménagées dans la coque épaisse du sous-marin, pour permettre au public de le visiter dans de bonnes conditions. Les visiteurs découvriront d'abord sa partie arrière, consacrée à la propulsion, l'espace vide de près de huit mètres qui remplacera le réacteur et ses annexes permettra l'accès de personnes handicapées, qui ne pourront pas faire toute la visite mais bénéficieront du coup d'oeil sur les parties adjacentes dont la tranche missiles, accessible par un petit escalier. Le public pourra ensuite monter dans le PCNO, l'un des temps forts de la visite, puis parcourera le quartier des équipages, logements, cafétéria, carré des officiers, infirmerie... avant de terminer par la salle des torpilles. Comme pour le Nautilus aux États-Unis ou L'Argonaute à La Villette à Paris, des explications seront prodiguées par un système d'écouteurs personnalisés. En plus du Redoutable, "objet le plus spectaculaire du complexe", de nombreux équipements vont être fournis par la Marine nationale et les arsenaux de Cherbourg, Brest, Lorient, Indret, Ruelle, Toulon et Saint-Tropez afin de meubler et d'animer le musée adjacent. Les concours de nombreux autres organismes publics ou privés tels que l'Ifremer ou la Comex semblent désormais acquis. Plusieurs grands groupes dont Vardon Attractions, qui gère 18 SeaLife Parks à l'étranger, sont sur les rangs pour un aquarium qui pourrait être implanté dans le nouvel aménagement urbain prévu pour l'ensemble de l'ancienne gare transatlantique. Les projections de fréquentation oscillent entre 150 000 et 250 000 entrées pour l'année d'ouverture, a comparer aux 300 000 visiteurs enregistrés en 1996 par Océanopolis à Brest, et aux 331 000 du Mémorial de la Paix à Caen.

Texte René Moirand. Extrait de Cols Bleus n°2504 du 23 octobre 1999 et Cols Bleus n°2395 du 10 mai 1997.


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