École des mousses, la nouvelle vague

Laurence Haloche
09/07/2010


Hissez haut ! Sur l'échelle du grand mât de la «Belle Poule», Cécile Penkerc'h tient bon la vague et tient bon le vent. En dix mois, l'Ecole des mousses lui a permis d'atteindre son objectif : être manoeuvrier. (Thomas Goisque/Le Figaro Magazine)

La nouvelle École des mousses qui a rouvert en septembre a formé en dix mois plus d'une centaine d'apprentis marins et militaires. Le Figaro Magazine a suivi toute l'année cette première promotion qui défilera le 14 juillet, à Paris.

Une première depuis vingt et un ans:72 apprentis marins de l'École des mousses défileront le 14 juillet prochain sur les Champs-Élysées. Sous les bachis blancs et les tricornes bicolores, les visages aux traits juvéniles afficheront une fierté sans faux plis. Attitude irréprochable. Droiture de hauban. Regards portés vers une seule et même direction. Depuis des mois déjà, les jeunes gens et jeunes filles qui composent la promotion Frégate Thétis du nom du premier bâtiment-école de 1856 marchent droit. A 16, 17 ans, ils savent où aller. Oubliés, les chemins de traverse, les errements passés:quatre années d'engagement dans la Marine nationale les attendent. Intégrés parmi les quartiers-maîtres et matelots de la flotte, ils font corps désormais. Dans leur uniforme marine, la manche barrée d'un galon rouge, les premiers ressembleraient presque aux derniers. Solidaires, unis les uns aux autres. Qu'ils emboîtent le pas au détachement africain n'est d'ailleurs pas un hasard. La réouverture de l'École des mousses, fermée en 1988, s'inscrit dans le cadre du plan égalité des chances lancé en 2007 par le gouvernement.

(Thomas Goisque/Le Figaro Magazine) Première cérémonie militaire le 10 octobre 2009, au Centre d'instruction naval de Brest. Les mousses assistent à la restitution du drapeau de l'École, symbole d'un passé glorieux.

 «Quelles que soient vos origines, votre parcours, l'Ecole des mousses ouvre un avenir à la mesure de votre ambition. Ce n'est pas une école de la seconde chance, mais de la première !» a déclaré le ministre de la Défense, Hervé Morin, lors de la cérémonie d'inauguration de l'école. C'était le 10 octobre dernier. Dans l'enceinte du centre d'instruction navale de Brest, les 150 élèves présents sur 750 candidats ont écouté les discours officiels, les témoignages élogieux des anciens mousses, avec l'enthousiasme des engagements que les difficultés et le découragement n'ont pas encore mis à l'épreuve. Les garçons bombaient le torse, affichant leurs ambitions « testostéronées». Comme les gamins de «Nouvelle Star» qui veulent devenir des vedettes, ils visent l'héroïsme qu'incarne le fusilier marin. Le sexe fort est prévisible et celui dit faible s'enorgueillit de vouloir boxer dans la même catégorie. Autres temps, autres mœurs. La mixité a gagné l'armée. Les filles en chignon n'ont pas froid aux yeux. Parmi les 24 sélectionnées, Aïssatou Dorey affiche sa volonté d'intégrer les commandos. L'époque peut bien virer de bord, la jeunesse reste la même:pleine d'espoirs, pleine d'élans. Tant mieux:la motivation et les aptitudes physiques et psychologiques sont des critères de sélection déterminants pour pouvoir intégrer l'Ecole des mousses. Scolarisé à Limoges, en seconde générale, Alexandre Lavergne n'a pas hésité à quitter sa région:«Je m'ennuyais au lycée. J'ai tout de suite su que l'Ecole des mousses était une opportunité pour moi. C'est mon avenir que je joue.» Dix mois plus tard, tous ou presque il y a moins de 10% d'abandons ont accepté le projet de devenir marin et militaire. Ces mots sont désormais ancrés dans une réalité dont chacun a pu prendre conscience lors d'une formation en internat associant une formation maritime et militaire à un enseignement scolaire d'un niveau de seconde professionnelle. Pas question de prendre les mousses pour «des idiots ou des cas sociaux». «L'entendre dire les a choqués à juste titre, précise le capitaine de frégate Pascal Gilloury, directeur de l'école. Depuis septembre, une vraie culture professionnelle de marin militaire leur a été donnée. Certains se sont réconciliés avec le travail scolaire. Onze élèves vont même suivre l'année prochaine un bac professionnel d'électromécanicien par e-learning. Les mousses ont du mérite. Alors que les trois quarts des collégiens français ignorent ce qu'ils veulent faire plus tard, eux ont un projet et ils se donnent les moyens d'y arriver.»

 

Après avoir présidé la cérémonie, le ministre de la Défense, Hervé Morin, a rejoint les 150 élèves, accompagné de leur parrain Bernard Giraudeau et de l'amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la Marine qui a initié la réouverture de l'École. (Thomas Goisque/Le Figaro Magazine)


 Dans la Marine nationale, on apprend de bonne heure. Réveil à 6h45, jogging une fois par semaine dans le petit matin blême. Puis, suivent des cours de français, maths, histoire, géographie, anglais, etc. adaptés au monde professionnel militaire et maritime. Les élèves en difficulté bénéficient d'un soutien scolaire individuel. Extinction des feux dans les chambrées à 22h30 dernier carat. Pas de cigarettes. Pas de portable. L'éloignement des parents et l'absence de week-ends déboussolent les moins matures, qu'il convient d'accompagner. Les mousses sont des postadolescents peu habitués à une vie en communauté régie par des règles strictes. Les cadres militaires qui les assistent le savent et n'excluent pas «un certain maternage». De quoi garder le petit doigt sur la couture du pantalon et se montrer prêts à participer aux nombreuses mises en situation qui les plongent avec bonheur dans le grand bain de la vie de marin:stages de cohésion et d'aguerrissement, formation au secourisme et à l'intervention sécurité... Et, surtout, embarquements réguliers sur des bâtiments de la Force d'action navale, des navires-écoles (le Belem et la Recouvrance) et les goélettes de l'Ecole navale.

 


Les cours de natation ne se limitent pas à enchaîner des longueurs : séance de pompes obligatoire. (Thomas Goisque/Le Figaro Magazine)

 La mer s'éprouve. Elle se respire par tous les vents, à pleins cabestans. Si les premières sorties en rade de Brest chahutent les estomacs, elles ont le mérite de remettre quelques idées en place. Immersion totale pour une leçon en accéléré. Il n'y a rien de plus efficace qu'une journée passée aux côtés des 36 membres d'équipage du Borda, un bâtiment hydrographique de la Marine nationale, pour s'amariner. Comme une équipe de deuxième division vient voir les pros s'entraîner, on regarde, on observe. En vétérans, les matafs donnent l'exemple. Chacun occupe un poste précis, accomplit une tâche qui fait chaîne avec celles exécutées par l'ensemble de l'équipage. Fusilier, opérations navales, matelot de pont, maintenance aéro, machine, pont d'envol... composent l'éventail des six métiers qui s'offrent aux mousses. Sur le pont, Cécile Penkerc'h suit avec attention les gestes du bosco prêt à accoster. Son rêve? Devenir manoeuvrier. Aux noeuds de papier appris en classe, elle préfère l'aussière, le treuil, le cabestan:«Les bouts, c'est évident, pour moi. J'aime le concret des manoeuvres, pouvoir naviguer.» Cette fille d'ancien marinpêcheur breton a du tempérament. La discipline ne lui fait pas peur. «Il faut s'y faire», dit-elle.

 

Un camouflet aux machistes ! Les 24 demoiselles de la promotion ne font pas pâle figure. (Thomas Goisque/Le Figaro Magazine)


 Être dans un univers plutôt masculin ne l'effraie pas davantage. «On en a dans le ventre. Il suffit de s'imposer !» lance la petite blonde, indéfectiblement volontaire. Une détermination que souligne le commandant du Borda, le lieutenant de vaisseau Franck Auffret, satisfait de voir arriver de nouvelles recrues motivées et averties de ce qui les attend. Entre septembre et juin, les vocations se sont affinées, les caps se sont définis en fonction des envies et des capacités de chacun. Dès le mois de mars, l'expérience des apprentis matelots a gagné de la voilure. Embarqués sur la Belle Poule, le Mutin et sur l'Étoile, des goélettes de l'École navale, ils participent aux manœuvres. Les bras hissent les voiles comme les sonneurs de cloches font tinter l'angélus. Border. Abaisser. Choquer. Le vocabulaire maritime ne leur est plus étranger. A l'écoute des ordres du commandant Bernard Laurent, tous s'affairent. On n'est pas en croisière. Ni la voix, ni le geste ne doivent hésiter. «Sois vaillant et loyal !» Les mousses honorent leur devise. Pas d'ego, de matelot en trompel'oeil. Sur un bateau, nul n'ignore cette valeur que trop souvent la société néglige:la solidarité, la camaraderie. Pour Victor Hugo, la mer était un espace de rigueur et de liberté. Pour les mousaillons, elle s'impose comme une formidable école de la vie. Parrain de la promotion Frégate Thétis, l'acteur et écrivain de marine Bernard Giraudeau n'a pas oublié son passé d'ancien quartier-maître mécanicien. «Apprendre la vie par ce biais-là, à cet âge-là, confie-t-il, vous marque définitivement. Ça vous arme et vous donne l'opportunité d'être très jeune à la proue de votre propre vie quoi que vous fassiez plus tard.»

Le 2 juillet dernier, les brevets de mousse ont été remis à la quasi-totalité des élèves qui ont terminé leur scolarité. Un bilan très satisfaisant selon le capitaine de vaisseau Bernard Riou, commandant le CIN de Brest:«Ils ont désormais endossé l'habit de marin et pris conscience de leur statut de militaire au service de la nation.» Parmi les brevetés figure le mousse Penkerc'h. Nul besoin de prier le saint patron des boscos : elle a été affectée comme manœuvrier sur un remorqueur de sonar basé à Brest. Revient alors en mémoire l'image de la jeune Brestoise à bord de la Belle Poule. Tel Flynn sur son Sea Hawk, Cécile n'avait pas hésité à grimper sur l'échelle de corde du mât de misaine. Sans trembler ni vaciller. Sous un ciel de carbone, son regard, accroché aux vagues ourlées de croquet blanc, avait éperonné l'horizon... loin devant. Le signe, à portée de foc, d'un bel avenir dans la Marine nationale.