L’Internet au service de la Marine ?

Le réseau des réseaux, mis en lumière depuis quelques années par les médias, est aujourd’hui en passe de devenir un outil indispensable au service des entreprises. A l’heure des autoroutes de l’information, cette nouvelle donne technologique a déjà des incidences comportementales. Si la navigation sur l’Internet reste éminemment plus obscure pour nous marins que la navigation hauturière, la marine et le monde de la mer en général ne sont pourtant pas étrangers à ce nouveau mode de communication.

DES ORIGINES MILITAIRES

La naissance de l’Internet remonte à la fin des années soixante, et au projet ARPANET (Advanced Research Project Agency Network) du département de la défense américain. L’idée qui en guidait alors le développement était de bâtir un réseau de serveurs décentralisés pouvant résister à la destruction ou à la mise hors service de n’importe laquelle de ces composantes, ce qui apparaissait particulièrement utile si un conflit majeur venait à éclater. Le réseau ARPANET et ses quatre ordinateurs fut une véritable réussite. En 1972, plus de 50 universités et centres de recherches, impliqués dans un aspect ou l’autre de la recherche militaire y étaient alors connectés. L’année suivante, une première liaison transatlantique était réalisée. Cependant, la croissance déjà considérable d’ARPANET amena le réseau a être séparé en 2 entités distinctes, MILNET pour les sites militaires et ARPANET pour les sites non militaires. Ces deux réseaux restant toutefois liés par un procédé technique appelé IP (Internet Protocole) permettant l’échange de données d’un réseau à l’autre. Si les premiers outils de communication commençaient à voir le jour, l’interface était encore peu conviviale et l’Internet restait un mode de communication spécifique réservé à quelques privilégiés. Il faut attendre la création du World Wide Web (WWW) au début des années quatre vingt dix pour assister à une réelle montée en puissance du réseau. Conçu par une équipe de chercheurs du CERN (Centre Européens de la Recherche Nucléaire) sous la direction de Tim Berners Lee, le web préfigure l’avenir de l’Internet par ses capacités d’intégration multimédia. En 1993, le CERN en collaboration avec le NSCA (National Center for Supraconducting Application) américain autorise la diffusion publique du premier logiciel de navigation (Mosaic) et des logiciels serveurs (HTTPD) permettent de créer son propre site WWW. L’Internet a atteint sa forme actuelle.

UN RESEAU AU MULTIPLES FACETTES

Aujourd’hui, l’Internet est composé d’un nombre conséquent de serveurs reliés les uns aux autres et fonctionnant selon un même protocole de transfert d’information (TCP/IP). Parmi les sphères d’activités citons, le courrier électronique (e-mail), les forums de discussion (news groups), le transfert de fichiers (FTP) et les pages web. Le courrier électronique permet de la même manière que le courrier conventionnel, d’envoyer des messages ainsi que des fichiers informatiques à un individu, un organisme, une entreprise, etc... Les forums de discussions permettent aux utilisateurs d’échanger en différé des propos sur les sujets les plus divers. Citons parmi eux le groupe sci.military.naval où un nombre conséquent d’informations les plus diverses sur les marines du monde entier circulent chaque jour. Le serveurs FTP, quand à eux, conservent des informations à la manière du disque dur d’un micro-ordinateur. Il est alors possible depuis un micro-ordinateur relié au réseau de télécharger ces fichiers. Mais l’aspect le plus intéressant de l’Internet réside dans les sites web car ils rendent possible l’insertion de documents textes, de sons, d’images, voire de vidéo. L’information écrite se présentant sous la forme d’hypertexte, l’utilisateur peut ainsi naviguer d’une page à l’autre et accéder à quantité d’information. Le World Wide Web est déjà à l’heure actuelle la plus grande bibliothèque du monde.

LA SECURITE EN QUESTION

Cette présentation séduisante ne doit pas masquer les interrogations que marins et militaires, sont à même de se poser. De par sa structure ouverte (accès libre à tout utilisateur) la confidentialité des informations circulant sur le réseau n’est en rien garantie, le piratage récent du serveur américain de la CIA en est une ultime démonstration. Des travaux sont en cours sur la sécurisation des échanges et portent sur l’encryptage des données, sur la création de firewalls protégeant les Intranet (*) d’un accès extérieur, et sur l’utilisation de backbones réservés, sortes d’autoroutes de l’information privées. Il est certain que l’intérêt de certaines informations détenues par la marine ne ferait qu’augmenter les moyens ainsi que le nombre de hackers (pirates) potentiels, et de remettre au goût du jour l’éternel combat entre l’épée et la cuirasse. La connexion à l’Internet d’ordinateurs contenant des informations sensibles est par conséquent à prohiber. Le mode de fonctionnement client/serveur du réseau rend possible (même si cela est difficile) la lecture d’information contenu dans un ordinateur par un autre connecté au réseau. Enfin la désinformation est un aspect non négligeable de l’Internet. Elle peut prendre la forme de piratage de serveurs web connus. Mais les plus sujets à la désinformation sont les forums de discussions, véritable " auberge espagnole " du réseau. Dans le groupe " sci.military.naval " on trouvera aussi bien une discussion à bâtons rompus sur l’histoire des grandes batailles navales que les plans de réacteurs de sous-marins nucléaires. Reste à savoir quel crédit on peut accorder à ces informations. Ainsi, les rumeurs les plus folles sur les dangers (réels ou supposés) du réseau circulent, abri de forces occultes, perversions ou secrets obscurs.

UNE SOURCE D’INFORMATIONS INEPUISABLE

Quel intérêt la marine nationale peut-elle tirer du réseau des réseaux ? Si la création d’un Intranet est à exclure à moyen terme, l’Internet constitue de par son universalité, une formidable vitrine pour les organismes et entreprise qui s’y aventurent. Vitrine technologique d’une part permettant de mettre en avant les produits et matériels mis en œuvre, et, d’autre part moyen économique pour diffuser une information précise sur les perspectives de carrières au sein des différents corps de la marine. Dans cette optique, la marine royale britannique propose sur son site, un panorama très détaillé des emplois et métiers qu’elle offre. Le recrutement " on line " n’est pas encore à l’ordre du jour mais on n’en est pas loin ! La France n’est pas en reste puisque l’Ecole Navale possède son propre site web. Les différents laboratoires y présentent leurs réalisations. Mais c’est le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine qui est à la pointe de la technologie en ce domaine. Depuis nombre d’années, le SHOM a été conduit à travailler avec différents autres services hydrographiques et océanographiques étrangers. L’utilisation de réseaux à l’échelle mondiale n’y est donc pas récente. C’est pourquoi, sous une impulsion dynamique, un serveur web a été créé à l’EPSHOM de Brest au mois de mai de cette année. Ce serveur offre un panorama des produits ainsi que des informations générales sur les activités scientifiques et techniques du SHOM. De plus, il accueille également le site de l’Organisation Hydrographique Internationale. Parmi les marines étrangères également présentes sur l’Internet, la marine américaine y est sans conteste la mieux représentée. Son site regroupe une quantité impressionnante d’informations ainsi que de nombreux liens vers d’autres sites militaires américains. On y trouvera des renseignements les plus divers allant des associations d’anciens marins aux caractéristiques techniques des bâtiments de la flotte. Extrêmement détaillé, certaines pages sont entièrement dédiées à un bâtiment. Photographies et plans à l’appui, vous y découvrirez jusqu’au noms et biographies des principaux officiers (si si, vous trouverez l’âge du capitaine). D’un tout autre coté, si les sites web ne fournissent évidemment pas d’information classifiée, ils permettent l’accès à des renseignements régulièrement mis à jour, un avantage que ne confère pas les guides du type " Flotte de Combat ". On peut là voir un nouveau débouché pour la veille technologique. Les forums de discussions sont également une source de renseignements non négligeable. Malgré le caractère informel de cette information, il est certain que les différents services de renseignement gardent un œil attentif sur les échanges qui s’y déroulent. L’Internet n’en est qu’à ces débuts, la transmission de données s’effectue lentement et les connexions ont encore parfois le charme de l’artisanal. A l’aube du XXIème siècle, ces nouveaux produits et mode de communication préfigurent la société de l’information.

Jean-Michel ROCHE - septembre 1997


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