Bonsoir,
Un ouvrage récent de M. A. BOULAIRE (La marine française - De la Royale de Richelieu aux missions d'aujourd'hui) comporte, dans un chapitre consacré à l'habillement un encart relatif à "l'origine légendaire du pompon rouge". On peut y lire
"L'Impératrice Eugénie était en visite, le 9 août 1858, sur un navire au port de Brest. Un matelot, très grand sans doute, en se mettant au garde-à-vous, se heurta violemment le sommet du crâne au plafond de la coursive, très bas sur les bateaux à voiles. Il saignait et l'Impératrice lui offrit son mouchoir en guise de pansement. Ce mouchoir taché de sang, placé sur sa tête, devint alors, en souvenir de son geste, le pompon rouge du bonnet de marin. Il est censé amortir les chocs à la tête des marins qui se déplacent dans des navires très bas de plafonds."
Cela est précis, beau, presque émouvant … mais parfaitement faux.
On ne connait pas exactement l'origine de la houppette (c'est le nom officiel du pompon) qui orne le bonnet du matelot. Sous l'ancien régime le souverain se souciait peu de fournir un uniforme à ses marins. Ceux-ci embarquaient donc avec leurs effets personnels et en particulier avec un bonnet, coiffure de mer idéale, qu'ils pouvaient confectionner eux-mêmes ou faire confectionner par un(e) de leurs proches. Le mode de confection particulier d'un bonnet - tricot à quatre aiguilles - amène souvent à le terminer par un gland. Bien qu'il ne s'agisse que d'une hypothèse, il n'est pas impossible que ce soit dans le souvenir de cette finition qu'il faille rechercher l'origine du pompon.
Sous la Révolution le décret du 16 pluviôse an II relatif aux vêtements des marins ne décrit pas le bonnet dont il est prévu que soient pourvus les hommes. Le décret impérial du 1er avril 1808 s'il prévoit la délivrance de deux bonnets de laine n'en donne pas non plus de description.
Le bonnet de drap bleu de l'instruction du 14 juin 1824 s'apparente plus, avec ses deux visières, à une casquette. Ce n'est qu'en 1829 (ordonnance du 28 mai) que le sac du marin comprend à nouveau un bonnet de laine; puis en 1832 (ordonnance du 1er mars) un bonnet de travail et un bonnet de laine grise.
Ces ordonnances ne donnent pas la description de ces coiffures, mais on peut trouver dans les archives de la Marine des copies d'un marché passé pour la fourniture générale des bonnets de travail destinés aux marins (16 août 1832, service de trois années du 1er octobre 1832 au 30 septembre 1835).
Dans ce marché les spécifications du bonnet sont les suivantes :
"Les bonnets seront en laine mère, et fabriqués en tricot foulé, apprêtés dans le même genre des draps; la couleur est bleu de roi, teint en laine.
Deux raies rouges écarlates, teintes à la cochenille, ornent les bords du turban du bonnet, le tout sans aucune couture ou morceau rapporté.
Un gland sans coquille, en laine bleue et écarlate bon teint , est placé au milieu de la partie supérieure de la couronne."
Ce gland est l'ancêtre de notre pompon actuel. Il n'est pas encore complètement rouge et il faudra même attendre quelques années avant qu'il le devienne.
L'arrêté ministériel du 27 mars 1858 concernant le règlement sur l'uniforme et l'habillement dispose encore qu'au centre de la couronne du bonnet
"est fixée, à l'aide de fil noir, une houppette de fils de laine bleus et garances mélangés, repliés dans leur longueur et formant gland. Cette houppette se compose de 112 brins de fil bleu et de 76 brins de fils garance. Sa hauteur est de 65 mm. Elle est serrée, à 20 mm de son extrémité supérieure par un lien de fil noir, de façon à maintenir les brins, et en même temps à former tête de gland."
L'impératrice Eugénie n'a donc absolument rien à voir avec la création de la houppette qui existait bien avant cette visite supposée du 9 août 1858. Quant à la couleur rouge de cette houppette, ce n'est que dans les derniers mois du second Empire (21 février 1870) que l'amiral Rigault de Genouilly signera une circulaire adoptant un nouveau bonnet de travail dont le centre de la couronne est orné d'une houppette composée de 150 brins de fils garance d'une hauteur de 65 mm et formant gland.
La réalité est sans doute moins poétique que les histoires que l'on sert aux jeunes incorporés mais il m'a semblé bon de la rétablir.
Cordialement SL
Les vieilles légendes ont la vie dure ...
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ponpon
merci SL pour cette analyse
Ce qui est drôle c'est que ce ponpon est devenu une marque de fabrique "bien de chez nous"
par exemple, les matelots sénégalais ont un ponpon vert.
A t on connaissance d'autres marines dans ce cas ?
Ce qui est drôle c'est que ce ponpon est devenu une marque de fabrique "bien de chez nous"
par exemple, les matelots sénégalais ont un ponpon vert.
A t on connaissance d'autres marines dans ce cas ?
- TLN 23
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Re: Les vieilles légendes ont la vie dure ...
Bonsoir,
Pour les houpettes de couleur, les matelots malgaches l'ont mi-verte, mi-rouge, et les norvégiens l'ont en bleu, mais sur le bonnet bleu seulement, et de plus petite taille que les Français.
Quant aux contes à dormir debout sur la tenue du matelot, pour la jugulaire blanche j'ai trouvé tout récemment sur www.belgian-navy.be, "Le rendez-vous des anciens et amis de la Force Navale" :
De chaque côté sont cousus deux petits boutons de cuivre (sic), destinés à retenir la jugulaire blanche en coton. C’est en souvenir de la Reine Victoria, qui, en visite sur un navire, arrivée en haut de l’échelle de coupée, devant le marin qui lui rendait les honneurs et dont le bonnet s’était envolé sous un coup de vent, releva ses jupes, se saisit d’une de ses jarretières pour entourer la tête du marin afin qu’il ne perde jamais plus son bonnet !
Après son mouchoir, sa jarretière! Pauvre Victoria, les matelots français lui auront a sans doute pris aussi son canotier, sa chemise, blanche à grand col, son pantalon (de dentelle) à pont... Je pense que sa visite à l'école spéciale militaire en 1855, au cours de laquelle le casoar a été arboré pour la première fois en son honneur, a fait tourner les têtes.
À suivre, hélas
Pour les houpettes de couleur, les matelots malgaches l'ont mi-verte, mi-rouge, et les norvégiens l'ont en bleu, mais sur le bonnet bleu seulement, et de plus petite taille que les Français.
Quant aux contes à dormir debout sur la tenue du matelot, pour la jugulaire blanche j'ai trouvé tout récemment sur www.belgian-navy.be, "Le rendez-vous des anciens et amis de la Force Navale" :
De chaque côté sont cousus deux petits boutons de cuivre (sic), destinés à retenir la jugulaire blanche en coton. C’est en souvenir de la Reine Victoria, qui, en visite sur un navire, arrivée en haut de l’échelle de coupée, devant le marin qui lui rendait les honneurs et dont le bonnet s’était envolé sous un coup de vent, releva ses jupes, se saisit d’une de ses jarretières pour entourer la tête du marin afin qu’il ne perde jamais plus son bonnet !
Après son mouchoir, sa jarretière! Pauvre Victoria, les matelots français lui auront a sans doute pris aussi son canotier, sa chemise, blanche à grand col, son pantalon (de dentelle) à pont... Je pense que sa visite à l'école spéciale militaire en 1855, au cours de laquelle le casoar a été arboré pour la première fois en son honneur, a fait tourner les têtes.
À suivre, hélas
- Fondudaviation
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Re: ponpon
Les marins malgaches aussi, me semble-t-il.papa_chat a écrit :merci SL pour cette analyse
Ce qui est drôle c'est que ce ponpon est devenu une marque de fabrique "bien de chez nous"
par exemple, les matelots sénégalais ont un ponpon vert.
A t on connaissance d'autres marines dans ce cas ?
Mais dans ces deux cas, ça reste d'anciennes possessions coloniales françaises, avec un héritage fort logique des traditions.
- ASTUM
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Re: Les vieilles légendes ont la vie dure ...
Bonsoir à Tous
A propos du gland ancêtre du pompon, serait il illustré par cette photo dont le couvre chef est pour le moins peu courant :

Cordialement
Norbert
A propos du gland ancêtre du pompon, serait il illustré par cette photo dont le couvre chef est pour le moins peu courant :

Cordialement
Norbert
- TLN 23
- Messages : 181
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Re: Les vieilles légendes ont la vie dure ...
Bonjour à tous
Cols Bleus n° 2023, * consacre sa page de titre et son article de fond aux DESSOUS DE L'UNIFORME en quinze notices. L'auteur, anonyme, mais bien documenté, tord le cou à la légende de la cravate, si j'ose écrire, noire en deuil de Trafalgar**, en rappelant que la bataille a eu lieu le 21 octobre 1805, et que la couleur de la cravate est fixée depuis 1804 (en fait floréal an XII).
Ca fait plaisir que le magazine officiel de la Marine le dise.
Dommage que l'explication amène une autre ambiguïté en écrivant : "Elle servait à tenir le grand col des matelots et quartiers maîtres. À chaque couleur du col sa spécialité : bleu pour les gabiers, rouge pour les canonniers, rose pour les timoniers et cramoisi pour les charpentiers".
D'abord, on croirait que c'est ce grand col de chemise qui est de la couleur distinctive, alors que comme tout col à l'époque, il est uniformément blanc ; c'est le collet du paletot qui de la couleur de la spécialité. Ensuite il faudrait rectifier "bleu du fond pour les manœuvriers, aurore pour les timoniers, et, si le pavé de la notice ne permettait pas plus long, finir par des points de suspension car l'arrêté fixe aussi le blanc pour les voiliers, le noir pour les armuriers et forgerons, sans compter le jaune pour les agents des vivres.
Pour les pointilleux comme nous, la notice du bicorne apporte aussi une imprécision en commençant par "En 1939, ce dernier est définitivement abandonné", alors que cet élément de la grande tenue est comme elle suspendue, à l'exception des attachés navals, évidemment pour ne pas faire pâle figure vis à vis de leurs homologues des autres nations ; on peut supposer que dans les ambassades auprès des Puissances ayant reconnu l'État français, comme la Suède, le bicorne a pu figurer le 14 juillet et le 6 juin, peut-être jusqu'en 1944!
Enfin, en marge de la notice UNE PALETTE DE COULEURS, des onglets présentent les différentes couleurs de liserés des corps d'officiers, dont une nuance de bleu moyen spécifique aux OCTAAM que je ne m'explique pas . Qui connaît cette nuance particulière, différente du bleu azur?
Cordialement
*pénultième du bimensuel, à cette heure, la version papier n'aura plus que 11 numéros par an.
** Le SHD Toulon vient de mettre à son catalogue "Trafalgar et la marine du premier empire" des éditions historiques Teissèdre, recueil de souvenirs, dont le rapport du CV Lucas, commandant le Redoutable, d'où il ressort en note que le tueur de Nelson serait le fusilier Guillemard, du 16e régiment d'infanterie embarqué sur la force navale, natif de Six-Fours, alors que le dernier survivant du bord, le mousse Cartigny, âgé de quatorze ans à l'époque, est mort centenaire à Hyères.
Cols Bleus n° 2023, * consacre sa page de titre et son article de fond aux DESSOUS DE L'UNIFORME en quinze notices. L'auteur, anonyme, mais bien documenté, tord le cou à la légende de la cravate, si j'ose écrire, noire en deuil de Trafalgar**, en rappelant que la bataille a eu lieu le 21 octobre 1805, et que la couleur de la cravate est fixée depuis 1804 (en fait floréal an XII).
Ca fait plaisir que le magazine officiel de la Marine le dise.
Dommage que l'explication amène une autre ambiguïté en écrivant : "Elle servait à tenir le grand col des matelots et quartiers maîtres. À chaque couleur du col sa spécialité : bleu pour les gabiers, rouge pour les canonniers, rose pour les timoniers et cramoisi pour les charpentiers".
D'abord, on croirait que c'est ce grand col de chemise qui est de la couleur distinctive, alors que comme tout col à l'époque, il est uniformément blanc ; c'est le collet du paletot qui de la couleur de la spécialité. Ensuite il faudrait rectifier "bleu du fond pour les manœuvriers, aurore pour les timoniers, et, si le pavé de la notice ne permettait pas plus long, finir par des points de suspension car l'arrêté fixe aussi le blanc pour les voiliers, le noir pour les armuriers et forgerons, sans compter le jaune pour les agents des vivres.
Pour les pointilleux comme nous, la notice du bicorne apporte aussi une imprécision en commençant par "En 1939, ce dernier est définitivement abandonné", alors que cet élément de la grande tenue est comme elle suspendue, à l'exception des attachés navals, évidemment pour ne pas faire pâle figure vis à vis de leurs homologues des autres nations ; on peut supposer que dans les ambassades auprès des Puissances ayant reconnu l'État français, comme la Suède, le bicorne a pu figurer le 14 juillet et le 6 juin, peut-être jusqu'en 1944!
Enfin, en marge de la notice UNE PALETTE DE COULEURS, des onglets présentent les différentes couleurs de liserés des corps d'officiers, dont une nuance de bleu moyen spécifique aux OCTAAM que je ne m'explique pas . Qui connaît cette nuance particulière, différente du bleu azur?
Cordialement
*pénultième du bimensuel, à cette heure, la version papier n'aura plus que 11 numéros par an.
** Le SHD Toulon vient de mettre à son catalogue "Trafalgar et la marine du premier empire" des éditions historiques Teissèdre, recueil de souvenirs, dont le rapport du CV Lucas, commandant le Redoutable, d'où il ressort en note que le tueur de Nelson serait le fusilier Guillemard, du 16e régiment d'infanterie embarqué sur la force navale, natif de Six-Fours, alors que le dernier survivant du bord, le mousse Cartigny, âgé de quatorze ans à l'époque, est mort centenaire à Hyères.