Des plongeurs démineurs en action

(par le SM plongeur-démineur Dupont - d'après Armées d'aujourd'hui n°233, septembre 1998 ; photos Marine nationale)

Alors que les jetées de la rade abri s'estompent derrière nous, le goulet de Brest nous ouvre ses portes. Tous les chasseurs de la force de guerre des mines appareillent pour la baie de Seine où doit se dérouler un entraînement de groupe...

Cette zone qui connut de violents combats au cours de la Seconde Guerre mondiale permet régulièrement aux plongeurs démineurs d'exercer leur talent en détruisant bombes et mines encore tapies au fond de la mer. L'équipe des plongeurs démineurs est donc résolue une fois encore à démontrer sa capacité. Une plongée profonde organisée au sud des Pierres noires permet de poursuivre son entrainement intensif. C'est avec délice que je m'immerge pour glisser dans les profondeurs de la mer d'Iroise. Déjà à trente mètres, je me laisse planer sans palmer tel un chuteur dans les airs ; cinquante cinq mètres, nous y sommes. Il s'agit maintenant d'effectuer les exercices de sécurité décrits au briefing. Il ne faut surtout pas se laisser déconcentrer : la narcose à l'azote ou ivresse des profondeurs nous guette. Dix minutes de travail permettent de ne pas effectuer trop de paliers de décompression pendant la remontée. A l'issue de la plongée, le transit se poursuit par le chenal du Four. Déjà les eaux plus rudes de la Manche nous secouent. Nous arrivons dans la zone où un patrouilleur a perdu son ancre la semaine précédente. Le sonar est mis à l'eau et les recherches commencent. L'écho est repéré, une équipe de plongeurs descend baliser l'ancre pour qu'elle puisse être récupérée ultérieurement. Sans perdre de temps, le chasseur de mines rejoint le groupe.

Avant l'arrivée en baie de Seine, le commandant de la force répartit les tâches. La zone d'exploration Est de la baie nous est attribuée. À bord, chacun est à son poste et les quarts se succèdent au rythme des bordées. Je vérifie mon matériel lorsque la diffusion scande "Intervention PAP pour identification d'écho". La plage arrière s'anime pour mettre le poisson autopropulsé - robot filoguidé de couleur jaune - à l'eau. En effet le courant actuel interdit une intervention des plongeurs. Vingt minutes plus tard, le résultat de l'investigation est diffusé dans tout le bord. L'objet cylindrique filmé par la caméra semble être une mine mais la visibilité est insuffisante pour le certifier. Une identification plus précise est nécessaire. Il faut maintenant attendre l'étale de basse mer et le ralentissement du courant pour que les plongeurs démineurs interviennent. La mer est agitée et le vent forcit. Une fois tout le matériel embarqué et arrimé dans le dinghy, nous nous éloignons lentement du bateau. Au central opérations, l'opéra teur sonar nous guide grâce au réflecteur amarré sous nos pieds, afin de nous positionner à vingt mètres de l'écho. "Autorisation de mettre les plongeurs à l' eau". Rapidement je quitte les remous de la surface avec mon binôme. C'est maintenant seuls et dans le silence que nous descendons, reliés par une sangle de sécurité. Le bout de descente défile devant moi alors qu'un espoir tenace revient à moi : vais je enfin trouver ma première mine?

C'est à tâtons que nous progressons au fond de l'eau. La visibilité sous-marine d'un mètre seulement nous empêche de distinguer les alentours. Le temps est compté pour trouver et identifier l'écho. Nous ne pensons plus qu'au travail à réaliser. Mécaniquement je déroule la ligne de vie pendant que mon équipier me guide grâce à sa boussole. Vingt mètres de circulaire sont déroulés. Délestés de notre équipement magnétique, nous progressons suivant une méthode d'approche silencieuse. Je distingue à peine mon équipier au bout de la sangle. Mes yeux fouillent le rideau formé de particules en suspension. Six minutes se sont écoulées. La crainte de ne pas trouver l'écho commence à m'envahir. A t-on déroulé assez de circulaire? Sommes nous bien positionnés?

Mes yeux tombent dessus. Stupéfait, je m'arrête et préviens mon binôme. Regarde ! Une masse énorme en forme d'obus repose tranquillement au fond. A peine concretionnée, Il s'agit pourtant bien d'une BM 1 000 allemande. La plus grosse mine-bombe de la Seconde Guerre mondiale gît devant nous. Soigneusement nous prenons les mesures de l'engin et notons visuellement toutes ses caractéristiques. C'est pendant la remontée que notre joie s'exprime. Nos regards à travers le hublot des masques en disent long. Une fois le résultat communiqué au commandant et l'autorisation de contre-miner accordée, le matériel de pétardement est mis en place. Le créneau de courant est court pour la plongée un autre binôme de plongeurs démineurs se prépare. Les détonateurs sont shuntés et le plastique façonné tel une pâte à modeler d'écolier. Mais il ne faut pas se tromper, c'est bien de l'explosif!

Trente minutes plus tard, la nouvelle équipe est prête. Un cercle de sécurité de trois mille mètres de rayon est requis pour cette mine contenant une tonne d' explosif. Les diffusions se succèdent sur la VHF. Le compte à rebours commence 5, 4, 3, 2, 1... Feu . Un quart de tour de poignée de l'exploseur et une détonation sourde se répercute dans tout le bâtiment. Une puissance extraordinaire projette l'eau jusqu'à quarante mètres de hauteur en une gerbe magnifique. Le score de 26 mines de fonds, contre-minées en Manche en 1997, ne sera sans doute pas facile à battre. Mais quel plaisir et quelle fierté d'avoir participé, dans les règles de l'art à la destruction de la 7e mine de 1998.