Une mission
à bord du Foch
(Par le
lieutenant de vaisseau de Villars - d'après Armées d'aujourd'hui
n°233, septembre 1998. Photos F. Schmüzt SlRPA-mer)
C'est
à la fin du mois de février que le groupe aéronaval francais a appareillé pour
prendre part à un grand exercice interarmées regroupant la majeure partie des
pays de l'OTAN. À cet exercice participaient notamment 75 bâtiments de surface
et sous-marins. Intégré dans le dispositif, le porte-avions Foch croise
au large des côtes ibériques. À bord, la flotille 17F de l'aéronautique navale
et ses Super-Etendard...
Une
journée ordinaire. Une série de vols est programmée : une mission de supériorité
aérienne et deux vols d'assaut. Il s'agit d'interdire à l'aviation
ennemie toute action et de mener des raids de rétorsion contre une base aérienne
et un complexe inclustriel. Les deux objectifs sont situés à plus cle 200 km
à l'intérieur des lignes ennemies.
Deux Super-Etendard
modernisé (SEM) de la flottille 17F
armés chacun de deux GBU12 (bombes de 250 kg guidées laser) seront intégrés
dans un dispositif d'aéronefs de l'OTAN pour l'attaque de la base aérienne.
Un dispositif composé de quatorze aéronefs du groupe aérien français traitera
le deuxième objectif. J'ai été désigné comme leader du vol d'assaut sur la base
aérienne. Me voilà donc à 7h00, après un rapide petit déjeunere au centre de
renseignement du porte-avions pour m'enquérir des dernières évolutions de la
situation politique et tactique sur le théâtre d'opérations Dans le centre,
une multitude d'ordinateurs et d'imprimantes tournent à plein régime, les interphones
entre les différents points névralgiques du bâtiment ne cessent de rappeler
que nous sommes à bord d'un navire de combat au sein d'une force navale et que
l'activité opérationnelle ne s'arrête pas la nuit.L'équipe de quart dirigée
par un officier de renseignement a étudié tous les éléments parvenus au cours
de la nuit. Le cadre des missions, les objectifs, les derniers renseignements
sur les sites radars et missiles adverses ont été précisés par messages, fax
et transmissions de données. En moins d'une demi-heure, je possètle toutes les
données pour préparer ma mission : neutraliser la station de télécommunications
sur la base ennemie.
Au total, trente
six aéronefs de différentes nationalités participent à ce dispositif. Nous
retrouverons au point de rendez vous fixé ; des F18 et Harrier espagnols, des
A7 et F16 portugais, des Hawk et Harrier anglais ainsi que des Mirage 2000 français.
Ces avions proviennent de bases ou de porte-aéronefs disséminés sur tout le
théâtre d'opérations et la complexité de ce type de mission réside dans
la coordination de tous les mobiles en silence radio et sous menace aérienne.
En effet l'attaque d'une base par des aéronefs de combat resterait relativement
simple s'il n'y avait pas des systèmes sol-air pour défendre le site et quelques
intercepteurs qui pourraient intervenir malgré des missions de supériorité aérienne.
Aidé de mon équipier,
je trace la mission en respectant scrupuleusement les couloirs, les points de
passage et les horaires définis dans le ATO (Air Task Order). Après le tracé
de la mission sur la carte et un rapide calcul ; nous sommes en mesure de déterminer
notre heure de catapultage et de retour. Un ravitaillement en vol sera nécessaire
pour effectuer la mission. Ces données sont transmises au service opérations
de la flottille et au bureau des vols du porte avions afin de prévoir les heures
de catapultage et d'appontage et la mise en place d'un SEM en version ravitailleur.
Une heure et demie avant l'heure de catapultage ; nous commençons notre briefing
qui détaille toutes les phases de vol sans exception. Aux commandes d'un avion
de combat monoplace à près de mille kilomètres à l'heure, il n'est pas question
d'improviser. Trente minutes avant l'heure prévue du catapultage nous nous retrouvons
dans la salle d'alerte de la flottille. Engoncés dans nos combinaisons étanches
(obligatoire lorsque la température de la mer est inférieure à 18°C), combinaisons
anti-g et gilet de sauvetage, nous restons concentrés et imperturbables malgré
le brouhaha qui règne autour de nous.
Heure
de catapultage moins 25 minutes, une diffusion stridente : "Pilotes aux appareils"
Il s'agit du chef aviation, un officier supérieur, ancien pilote de chasse,
qui dirige les mouvements aviation sur le pont du porte avions. Il est 11h05
quand nous prenons nos casques, sacoches de vols et différentes cartes aéronautiques
et montons sur le pont. Dehors, la lumière du jour nous éblouit le bruit
sourd des réacteurs et le vent froid nous agressent. Tout autour du porte
avions, de nombreuses frégates et quelques hélicoptères mènent un ballet
à la recherche de toute présence ennemie au-dessus ou en dessous de la
surface. Sur le pont règne une activité fébrile : de nombreux équipiers de pont
d'envol disposent les avions sous la direction des "chiens jaunes" ; les équipes
techniques achèvent la préparation des appareils, l'hélicoptère de sauvetage
décolle ; les munitions sont gréées sous les ailes. Nous rejoignons nos avions
dans cet environnement hoslile où il faut toujours rester vigilant et conscient
du danger (hélices en rotation, réacteur en route, mouvements d'aéronefs ou
catapultage en cours). Une fois installés dans nos appareils, casque sur la
tête et verrière fermée, nous nous retrouvons dans un monde connu et relativement
silencieux
A 11h30 très précises
: catapultage. Encore une fois, je ne peux m'habituer au choc que nous recevons
au cours de cette phase, une accélération de l'ordre de 5g (de 0 à 300 km/h
en 50 mètres et 1 seconde) et une sensation d'impuissance nous envahit. Dès
que l' accélération cesse, nous reprenons le contrôle de notre aéronef. Mon
équipier me rassemble en patrouille, et nous mettons le cap vers le couloir
d'entrée sur le territoire ennemi. En cours de transit, nous rejoignons le SEM
en version ravitailleur qui a été catapulté quelques minutes avant nous Il donne
à chacun 800 kg de pétrole et retourne se poser sur le porte avions. Après identification,
l'AWACS (avion radar de surveillance du territoire ennemi) nous autorise à pénétrer
dans les lignes ennemies, nous survolons ainsi la campagne portugaise en respectant
au plus près le trait tracé sur notre carte. 12h03 soit deux minutes avant l'heure
prévue, nous atteignons le point de rendez vous. Déjà, nous apercevons 1000
ft au dessus de nous les A7 et F16 portugais et 1000 ft en dessous les aéronefs
espagnols.
12h05
: tous les participants sont présents. Le leader qui se trouve dans la
patrouille de Fl8 annonce le mot code pour le début de l'attaque. Tous
les aéronefs accélèrent à 450 noeuds et descendent à 500 ft sol. Un petit train
d'une douzaine de patrouilles, espacées entre elles d'une minute se forme. Concentrés
au maximum, nous préparons chacun le système d'attaque de notre aéronef. Les
avions de défense aérienne qui nous escortent, obéissent aux ordres de l'AWACS
et partent en interception sur les aéronefs ennemis qui pourraient nous gêner
dans notre attaque.
12h15 : l'objectif
subit une attaque de 24 avions d'attaque au sol. Missiles et bombes guidées
laser mais aussi armements classiques sont tirés fictivement sur cet objectif
et les cassettes d'enregistrement de vol seront là pour témoigner après dépouilement
du succès de la mission Le "strike" ne dure pas plus de quatre minutes
et il en faut moins de quinze pour sortir du territoire ennemi. Arrivés au dessus
de la mer tous les aéronefs se dispersent et rejoignent leur base respective.
Pour un pilote de porte-avions, c'est le moment de se concentrer à nouveau.
En effet après ce genre de mission, la fatigue se fait sentir et pourtant le
vol est loin d'être terminé. Il reste l'appontage. Aujourd'hui, les conditions
sont nominales : mer belle, petite brise.
12h45'30" : je
m'annonce au miroir , c'est à dire à l'officier d'appontage qui est chargé de
"ramasser" les avions. Je me démène comme un beau diable pour garder le meat
ball (optique d' appontage qui permet aux pilotes de rester sur la bonne pente
d'approche) au milieu.
12h46 : j'accroche
le brin numéro deux.
13h 00 je me retrouve
derrière la caméra du bureau des vols pour le debriefing à chaud de la mission.
Après un déjeuner et un moment de détente au carré des officiers, je rejoins
une nouvelle fois la salle d'alerte pour aider le leader et les pilotes du deuxième
dispositif dont le catapultage est prévu à 16h30. Ce n'est qu'au retour de cette
pontée que la flottille se réunira pour le briefing quotidien. Synthèse de l'activité,
opérations en cours et à venir et enfin problèmes de gestion de l'unité sont
les sujets habituellement développés lors de ces briefings. Vers 19h00 , nous
nous activons pour préparer les missions de la nuit. Qualifiés pour ce genre
de vols très particuliers sur porte avions, nous répondons à bord au surnom
poétique de "hiboux". Tard dans la nuit après le dernier vol d'hélicoptères,
l'activité aérienne cessera. Les vingt pilotes de la flottille auront assuré
aujourd'hui 30 vols : activité normale dans un exercice de cette ampleur.