Le raid de Duguay-Trouin sur Rio-de-Janeiro


Portrait de René Duguay-Trouin

Le contexte

1711 : nous sommes en pleine guerre de succession d'Espagne, commencée 10 ans plus tôt, en 1701 : la France de Louis XIV, et son alliée l'Espagne, affrontent une coalition comportant l'Angleterre, le Portugal, l'Autriche, la Prusse, les Pays-Bas...

Cette guerre interminable ruine les finances de Louis XIV, et l'idée de s'emparer de l'or qui vient du Brésil, alors possession de l'ennemi portugais, fait son chemin ; en effet, une fois par an, un convoi de galions lourdement chargés de métaux précieux des Amériques quitte Rio de Janeiro pour le Portugal.

Ainsi en 1710 une première expédition française de cinq vaisseaux et 1 000 soldats, commandés par Duclerc, a-t-elle été lancée à l'assaut de Rio avant le départ du précieux convoi, mais l'opération de débarquement a été un échec et Duclerc et 800 soldats ont été faits prisonniers... Duclerc sera même assassiné pendant son internement !

La France tente donc de renouveler ce plan l'année suivante, en tirant les leçons de ce fâcheux précédent ; notamment, les effectifs sont renforcés, et l'expédition est préparée dans le plus grand secret. La flotte est en effet répartie dans 4 ports de l'ouest pour fausser les pistes ; son commandement échoit à Duguay-Trouin, ancien corsaire malouin couvert de gloire et devenu officier de la Marine royale en 1697, remarqué pour son audace : à 37 ans, il compte déjà à son actif la prise de 300 navires marchands et de 20 navires de guerre.

Un financement original

Comme les finances royales sont à sec, l'idée est lancée d'un partenariat public-privé : l'Etat met à disposition des vaisseaux et des troupes, mais le financement de l'expédition (700 000 livres) est assuré par le « secteur privé » ; une convention est signée en ce sens par le ministre de la marine et Duguay-Trouin, et le roi lui même y appose sa signature : l'Etat se réserve 20% du produit net des prises, 10% revient aux équipages, le reste aux investisseurs privés... Duguay-Trouin peut ainsi créer une société et rassemble 14 actionnaires (dont le fils du roi...) pour associer des investisseurs à son entreprise, en leur promettant un intéressement sur les sommes rapportées.

L'expédition

En juin 1711 la flotte, forte de 15 vaisseaux, 6 000 hommes d'équipage et hommes de troupe, appareille en évitant la flotte anglaise qui croise au large. Le 12 septembre, par la ruse (elle arbore pavillon anglais), elle tente le passage de l'étroit goulet protégeant la rade de Rio-de-Janeiro : sous l'effet de la surprise et du brouillard, la passe est franchie ; puis l'on procède au bombardement du port de Rio et à l'anéantissement de l'escadre portugaise (7 vaisseaux et 60 navires marchands) tandis que les troupes debarquées s'emparent méthodiquement des 9 forts protégeant la ville. Les français prennent enfin la ville d'assaut le 21 septembre, mettant à profit un énorme orage qui terrorise la population : bientôt c'est la panique et la population et ses 12 000 défenseurs évacuent la ville, désormais livrée au pillage ; la prise de la ville est aussi l'occasion de libérer 360 prisonniers de l'expédition manquée de 1710 !


Plan de la baie de Rio-de-Janeiro
(planches Ozanne - Bibliothèque de Rouen BI080426-0034)
Si les francais n'ont perdu aucun navire, l'assaut leur a quand même coûté 500 hommes de troupe. Sommé de rapporter l'or qu'il a emporté en quittant la ville, faute de quoi celle-ci serait rasée, le gouverneur portugais accepte les conditions françaises le 10 octobre en abandonnant aux français toutes les richesses rassemblées dans les entrepôts en vue de leur transfert vers l'europe.

Le retour

Les vaisseaux français chargés d'un butin immense (1,35 tonne d'or et 1,6 million de livres de marchandises) quittent la ville en novembre pour la France ; malheureusement, la flotte est prise pendant deux jours dans une terrible tempête au large des Açores qui engloutit deux bateaux français et leur précieux chargement (près de la moitié du butin...), et un millier d'hommes. Ce sont les pertes les plus sévères de l'expédition ; puis c'est l'arrivée triomphale à Brest en février 1712 ; Duguay-Trouin, chef de guerre et chef d'entreprise, est félicité à la fois par les autorités de l'Etat et par ses actionnaires : l'opération leur aura en effet rapporté 92 % de bénéfice ! Le raid de Duguay-Trouin est donc tout à la fois un succès militaire pour les français et un succès financier pour ses investisseurs!

Les suites

La victoire sans appel de l'opération amphibie de Duguay-Trouin aura pour conséquence de hâter la paix : l'Angleterre, qui n'a pas encore la maitrise absolue des mers, propose une trêve, bientôt suivie par ses alliés; la paix d'Ultrech mettra definitivement fin à la guerre en 1713.

Epilogue

Duguay-Trouin finira sa carrière comme lieutenant géneral des armées navales, et ses jours à Paris en 1736 ; ses restes, dispersés sous la Révolution, seront retrouvés à Paris en 1973 et transférés a Saint-Malo, sa ville natale.

Texte Frédéric Couvert pour Net-Marine © 2014. Pour copie et usage : cf. droits d'utilisation.


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