L'histoire du croiseur De Grasse

1937-1945 : Une construction inachevée

Le De Grasse est mis en chantier à Lorient en 1937. Il est nommé le 20 mars 1937. Ce bâtiment n’était achevé qu’à 28% quand l'invasion de 1940 vint tout arrêter. Seul était assez avancé le montage de la coque dans le grand bassin de construction de Lorient. Par une chance extraordinaire, la coque du croiseur devait échapper presque sans dommages à la destruction par les bombardements alliés de la ville et de l'arsenal de Lorient. Au cours des années d'occupation, le personnel de l'arsenal demeuré sur place fit preuve du maximum d’inertie pour éviter d’exécuter les directives allemandes d’achèvement du bâtiment.

La Libération trouva donc, en plus de deux impacts de bombes, la coque à peine plus avancée qu'elle ne l'était en 1940.

1946-1956 : Premiers essais

Sa coque fut mise à l'eau le 11 septembre 1946 à Lorient. Les difficultés au sortir de la guerre ne permirent pas de reprendre immédiatement sa construction. Ce n'est qu'en 1951 que la coque fut remorquée à Brest. La construction reprit jusqu'en 1954.

Armé pour essais le 17 août 1954 (115 EMG/FC du 29/7/1954), il effectue ses premiers essais à la mer à partir de 1955, au large de Brest (27 janvier, 9 février, 1er, 10, 11, 17, 25 et 29 mars, 13 avril, 10, 12, 14, 21, 24 et 27 mai, 15 et 16 novembre). Il poursuit ses essais au cours de l'année 1956, toujours au large de Brest (17, 20 et 30 janvier, 2,7,10 et 19 février, 19, 22, 26 et 29 juin, 6, 7, 10, 13, 17, 13, 24, 26 et 27 juillet, 1er, 3 et 10 août). Il entre en armement définitif le 10 août, effectif « Paix » (607 EMG/ORG du 10/8/1956), et quitte Brest le 29 août pour effectuer une mission à Arzew et Toulon. Le bâtiment est admis au service actif le 10 septembre 1956.

Affecté comme bâtiment hors rang à la 1ère F.E.E., il effectuera de nombreux exercices au large de Toulon, son port base. Une visite de garantie aura lieu le 15 décembre. Il deviendra alors Bâtiment Amiral de l'Escadre, portant la marque de l'amiral Jozan.

1957-1959 : Exercices au sein de l'Escadre


Le De Grasse à Toulon (27 juillet 1957)

En 1957, au sein de l'escadre, il quitte Toulon pour effectuer une mission qui le conduit à Ajaccio (23 février), Cannes (9 mars), Mers el-Kébir (27 mars), Alger (30 mars), Arzew (1er avril), avec un retour à Toulon le 6 avril. Puis après un essai le 25 avril, il participe aux exercices Sans Atout et Medflex Epic, avec escale à Naples (30 avril).

Il quitte Toulon le 11 mai, pour sa première longue croisière, direction les Antilles. Il fait escale à Fort-de-France, les Saintes, Norfolk, New-York, Casablanca et il est de retour à Toulon le 12 juillet. Indisponible pour travaux de cablage et travaux de chaudière du 15 juillet au 4 septembre, il repart début septembre pour quelques exercices et touche Bône (12 septembre), Philippeville (14 septembre) et Alger (15 septembre). De retour à Toulon le 28 septembre, il entre en carénage pour travaux divers le 1er octobre 1957.

Disponible le 4 janvier 1958, il quitte Toulon le 9 vers Bizerte et Ajaccio puis est de retour le 19 janvier. Il effectuera quelques exercices jusqu'à la mi-février, période entrecoupée par une petite période d'indisponibilité du 24 au 30 janvier. Le 20 février, il est à Alger. Il rentre à Toulon le 8 mars, réappareille le 10, vers Arzew et Mers el-Kébir. Il est de retour à Toulon le 22 mars, et sera alors indisponible jusqu'au 1er mai, suite à une avarie sur la chaudière 12.


Pendant la revue navale de Mers el-Kébir (14 juin 1959)
Il quitte Toulon le 18 mai pour une croisière de printemps, fait escale à Messine, Palerme, Naples, Alger, Bône, La Sude (Crête, Golfe de Mirabella, Beyrouth, Jounié) et rentre le 2 août. Indisponible du 7 août au 17 septembre, il effectue par la suite divers exercices au large de Toulon d'octobre à novembre, puis du 27 novembre au 19 décembre avec escales à Alger, Mers el-Kébir, Villefranche.

Début 1959, il effectue deux escales aux Salins et à Villefranche au cours d'exercices (janvier et février), puis rentre pour un petit carénage du 23 avril au 31 mars. Il repart de son port base le 2 avril pour une mission vers Malte, et Bizerte, et rentre le 16 avril à l'issue de l'exercice Medflex Guard.

Indisponible du 20 au 29 avril, il effectue sa croisière de printemps du 28 avril au 25 juin avec escale à Naples, Santorin, Le Pirée, Phalère, Istanbul, Bône, Mers el-Kébir et Alger. Suit une indisponibilité pour entretien du 26 juin au 4 août, puis une série d'exercices au large de Toulon et de Cannes de septembre à novembre. Il appareille le 24 novembre vers Oran, Mers el-Kébir, Alger, Agadir, Dakar, Gibraltar et rallie Brest 1e 22 décembre.


Le De Grasse arrive à Dakar (1962 - Photo Daniel Maurel)

1960-1965 : Grand carénage - Un tour du monde en 45 escales !

En 1960 débute à Brest un grand carénage et transformation avec un effectif réduit spécialement pour l'occasion (23 décembre 1959 au 18 janvier 1961).

Début 1961, il part au large de Brest pour une série d'essais (18,19 et 20 janvier, 13,16,17,20 et 23 février, 3,6 et 7 mars). Après une escale à Plymouth le 23 mars, il quitte Brest le 28 avril vers Toulon qu'il rallie le 6 mai, via Mers el-Kébir. Il est réaffecté le 1er mai à l'Escadre de la Méditerranée. Il enchaîne à nouveau des séries d'exercices (entrecoupés par une période d'entretien du 19 au 29 mai), quitte Toulon le 2 juin vers Gênes (retour 13), puis le 29 juin vers Bizerte (retour le 16 août). Un petit carénage du 25 septembre au 14 octobre, précédera l'exercice Medaswez 46 (novembre) avec escale à Malte et Mers el-Kébir. Indisponible du 30 novembre au 10 décembre, il repart le 15 décembre vers Oran, Mers el-Kébir et Alger (retour le 23 décembre et nouvelle période d'entretien du 28 décembre 1961 au 14 janvier 1962).

1962 sera une des années les plus prolixes pour le bâtiment. Le De Grasse entame une croisière autour du monde pendant plus de 8 mois et 45 escales. Après quelques exercices en Méditerranée en janvier, il quitte Toulon le 3 février vers Dakar, Fort-de-France, Les Saintes, Pointe-à-Pitre, Saint Barthélémy, Saint Martin, Cristobal, Balboa, Clipperton, San Diego, Honolulu, Nuku Hiva, Hiva Oa, Papeete, Rangiroa, Fakarava, Les îles Gambier, Raevavae, Nouméa, Taridou, Lifou, Uvéa, Efate, Port Vila (Efate), Norsup (à Mallicolo ou… Malekula), Fauna (Espiritu Santo), Tanna, Poindimié, Port Darwin, Saigon, Colombo, Diego Suarez, île de la Réunion, Tamatave, Tuléar, Juan de Nova, Majunga, Dzaoudzi (Mayotte), Moroni, Djibouti, Suez. Il est de retour à Toulon le 9 octobre 1962. L'année se terminera par deux périodes d'entretien (9 octobre jusqu'au 20 novembre et 9 au 29 décembre) et quelques exercices (22 novembre au 8 décembre) avec une escale à La Spezia.


La refonte à Brest (1964-66)

Il reprend pleinement son rôle en 1963, au sein de l'Escadre de la Méditerranée; effectue un exercice, en janvier, au large de Toulon, puis, après une indisponibilité du 1er au 9 février, quitte Toulon du 11 février au 23 mars pour faire escale à Las Palmas, Dakar, Abidjan, Port Etienne et Casablanca.

Il effectue un petit carénage du 24 mars au 22 avril, avant de rendre visite à Marseille (25 au 26 avril) et à sa ville marraine, Cannes (29 avril), puis de repartir en Méditerranée pour une série d'exercices qui le mèneront à Salonique, Mykoni Delos, Santorin, Rhodes, Tarente, Corfou, Venise, Catane, avec un retour à Toulon le 21 juin.

Au cours d'un exercice au large de la Corse en août, il fait escale à Ajaccio (9 août), avant de repartir de Toulon, le 25 septembre, vers l'Océan Indien (Djibouti, Mahé des Seychelles, Diego-Suarez, Port Louis, Massawa, Suez). Il rentre à Toulon le 20 décembre. L'année se termine par une indisponibilité pour entretien du 21 décembre 1963 au 7 janvier 1964.

1964-1972 : La refonte CEP - Le Pacifique et les essais nucléaires

Il appareille de Toulon le 8 janvier 1964 pour ce qui sera son dernier exercice en Méditerranée, fait escale à La Maddalena, et rentre le 8 février. Après une indisponibilité du 8 au 16 février, il quitte définitivement Toulon, fait escale à Gibraltar du 4 au 6 mai et rallie Brest le 10 mai.

Commence alors une période de grand carénage qui durera du 10 mai 1964 jusqu'au 1er février 1966 et au cours de laquelle le croiseur sera transformé en « Bâtiment de commandement du Centre d'Expérimentation du Pacifique ».


Le général de Gaulle à bord du De Grasse assiste au tir Betelgeuse, le 11 Septembre, 1966.
Lors de cette refonte, le bloc passerelle est doublé. Les emménagements sont modernisés. L'équipage est réduit à 560 hommes pour permettre le logement de 160 ingénieurs et techniciens. Mais la plus remarquable caractéristique du nouveau croiseur est son mât quadripode de plus de 50 mètres de hauteur, installé sur le roof arrière et destiné aux transmissions télécommandées des tirs avec le PCT à terre. En effet, le croiseur De Grasse étant le bâtiment de commandement d'où était déclenché le feu nucléaire, les ordres de tir étaient directement donnés depuis Paris.

Le bâtiment quitte Brest pour le Pacifique le 8 mars 1966. Il effectuera ainsi, de 1966 à la fin de 1972, sept campagnes de tirs atomiques en Polynésie Française, au profit de la DIRCEN (Direction du Centre des Expérimentations Nucléaires), en revenant en Métropole tous les hivers pour une période d'IPER (Indisponibilité Périodique pour Entretien et Réparations).

Un des souvenirs marquant est évidemment, lors de la seconde campagne d'essais, le premier tir sous ballon (tir Bételgeuse), en présence du général De Gaulle. Le tir Bételgeuse, déclenché par le chef de l'État à partir du De Grasse eut lieu à 7h30 le 11 septembre 1966, libérant un peu moins de 200 kt.


Le De Grasse dans le Pacifique (1972)
Le capitaine de vaisseauJaouen prend le commandement du De Grasse à Brest le 29 novembre 1971. Le bâtiment effectue un dernier tour du monde jusqu'à Mururoa dans le cadre d'une nouvelle campagne d'essais nucléaires.

En septembre 1972, le De Grasse est placé en réserve spéciale B. En fait, le croiseur ne ralliant Brest que le 9 décembre 1972, cette décision ne deviendra effective que le 20 mars 1973.

C'est ce même commandant Jaouen qui le 9 décembre 1972 à 9h30 fut le dernier « pacha » à prononcer le « Zéro la barre ! Terminé barre et machine » au quai d'armement ... qui aura été le quai de désarmement pour le De Grasse... Pour l'anecdote, le dernier commandant du croiseur, navré à la perspective de voir désarmer son bâtiment alors qu’il avait encore un excellent potentiel propulsif, poussa les machines du De Grasse à 33 nœuds, la veille de son arrivée à Brest !

De 1973 à 1974, le croiseur est en gardiennage à la direction du port de Brest.

Condamné le 25 janvier 1974 par arrêté numéro 7, il est rebaptisé du numéro de désarmement Q521, et remis aux domaines avec obligation de démolition et fin de vente. Le croiseur n'avait plus de valeur militaire, la conception de son système d'armes étant entièrement dépassée et l'ancienneté de sa coque ne permettait en aucune manière d'effectuer une refonte rentable.

Patrick Venot pour Net-Marine © 2008. Copie et usage : cf. droits d'utilisation. D'après une notice SHM - MP D. Lemaire - 8/10/1981.


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