École des mousses, la nouvelle vague
Laurence Haloche
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(Thomas Goisque/Le Figaro Magazine) Première cérémonie militaire le 10 octobre 2009, au Centre d'instruction naval de Brest. Les mousses assistent à la restitution du drapeau de l'École, symbole d'un passé glorieux. |
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«Quelles que soient vos origines,
votre parcours, l'Ecole des mousses ouvre un avenir à la mesure de votre
ambition. Ce n'est pas une école de la seconde chance, mais de la première
!» a déclaré le ministre de la Défense, Hervé Morin, lors de la cérémonie
d'inauguration de l'école. C'était le 10 octobre dernier. Dans
l'enceinte du centre d'instruction navale de Brest, les 150 élèves présents
sur 750 candidats ont écouté les discours officiels, les témoignages élogieux
des anciens mousses, avec l'enthousiasme des engagements que les difficultés
et le découragement n'ont pas encore mis à l'épreuve. Les garçons
bombaient le torse, affichant leurs ambitions « testostéronées». Comme
les gamins de «Nouvelle Star» qui veulent devenir des vedettes, ils
visent l'héroïsme qu'incarne le fusilier marin. Le sexe fort est prévisible
et celui dit faible s'enorgueillit de vouloir boxer dans la même catégorie.
Autres temps, autres mœurs. La mixité a gagné l'armée. Les filles en
chignon n'ont pas froid aux yeux. Parmi les 24 sélectionnées, Aïssatou
Dorey affiche sa volonté d'intégrer les commandos. L'époque peut bien
virer de bord, la jeunesse reste la même:pleine d'espoirs, pleine d'élans.
Tant mieux:la motivation et les aptitudes physiques et psychologiques sont
des critères de sélection déterminants pour pouvoir intégrer l'Ecole
des mousses. Scolarisé à Limoges, en seconde générale, Alexandre
Lavergne n'a pas hésité à quitter sa région:«Je m'ennuyais au lycée.
J'ai tout de suite su que l'Ecole des mousses était une opportunité pour
moi. C'est mon avenir que je joue.» Dix mois plus tard, tous ou presque
il y a moins de 10% d'abandons ont accepté le projet de devenir marin et
militaire. Ces mots sont désormais ancrés dans une réalité dont chacun
a pu prendre conscience lors d'une formation en internat associant une
formation maritime et militaire à un enseignement scolaire d'un niveau de
seconde professionnelle. Pas question de prendre les mousses pour «des
idiots ou des cas sociaux». «L'entendre dire les a choqués à juste
titre, précise le capitaine de frégate Pascal Gilloury, directeur de l'école.
Depuis septembre, une vraie culture professionnelle de marin militaire
leur a été donnée. Certains se sont réconciliés avec le travail
scolaire. Onze élèves vont même suivre l'année prochaine un bac
professionnel d'électromécanicien par e-learning. Les mousses ont du mérite.
Alors que les trois quarts des collégiens français ignorent ce qu'ils
veulent faire plus tard, eux ont un projet et ils se donnent les moyens
d'y arriver.»
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Après avoir présidé la cérémonie, le ministre de la Défense, Hervé Morin, a rejoint les 150 élèves, accompagné de leur parrain Bernard Giraudeau et de l'amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la Marine qui a initié la réouverture de l'École. (Thomas Goisque/Le Figaro Magazine) |
Dans la Marine nationale, on apprend de
bonne heure. Réveil à 6h45, jogging une fois par semaine dans le petit
matin blême. Puis, suivent des cours de français, maths, histoire, géographie,
anglais, etc. adaptés au monde professionnel militaire et maritime. Les
élèves en difficulté bénéficient d'un soutien scolaire individuel.
Extinction des feux dans les chambrées à 22h30 dernier carat. Pas de
cigarettes. Pas de portable. L'éloignement des parents et l'absence de
week-ends déboussolent les moins matures, qu'il convient d'accompagner.
Les mousses sont des postadolescents peu habitués à une vie en communauté
régie par des règles strictes. Les cadres militaires qui les assistent
le savent et n'excluent pas «un certain maternage». De quoi garder le
petit doigt sur la couture du pantalon et se montrer prêts à participer
aux nombreuses mises en situation qui les plongent avec bonheur dans le
grand bain de la vie de marin:stages de cohésion et d'aguerrissement,
formation au secourisme et à l'intervention sécurité... Et, surtout,
embarquements réguliers sur des bâtiments de la Force d'action navale,
des navires-écoles (le Belem et la Recouvrance) et les goélettes de l'Ecole
navale.
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Les cours de natation ne se limitent pas à enchaîner des longueurs : séance de pompes obligatoire. (Thomas Goisque/Le Figaro Magazine) |
La mer s'éprouve. Elle se respire par
tous les vents, à pleins cabestans. Si les premières sorties en rade de
Brest chahutent les estomacs, elles ont le mérite de remettre quelques idées
en place. Immersion totale pour une leçon en accéléré. Il n'y a rien
de plus efficace qu'une journée passée aux côtés des 36 membres d'équipage
du Borda, un bâtiment hydrographique de la Marine nationale, pour
s'amariner. Comme une équipe de deuxième division vient voir les pros
s'entraîner, on regarde, on observe. En vétérans, les matafs donnent
l'exemple. Chacun occupe un poste précis, accomplit une tâche qui fait
chaîne avec celles exécutées par l'ensemble de l'équipage. Fusilier,
opérations navales, matelot de pont, maintenance aéro, machine, pont
d'envol... composent l'éventail des six métiers qui s'offrent aux
mousses. Sur le pont, Cécile Penkerc'h suit avec attention les gestes du
bosco prêt à accoster. Son rêve? Devenir manoeuvrier. Aux noeuds de
papier appris en classe, elle préfère l'aussière, le treuil, le
cabestan:«Les bouts, c'est évident, pour moi. J'aime le concret des
manoeuvres, pouvoir naviguer.» Cette fille d'ancien marinpêcheur breton
a du tempérament. La discipline ne lui fait pas peur. «Il faut s'y faire»,
dit-elle.
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Un camouflet aux machistes ! Les 24 demoiselles de la promotion ne font pas pâle figure. (Thomas Goisque/Le Figaro Magazine) |
Être dans un univers plutôt masculin
ne l'effraie pas davantage. «On en a dans le ventre. Il suffit de
s'imposer !» lance la petite blonde, indéfectiblement volontaire. Une détermination
que souligne le commandant du Borda, le lieutenant de vaisseau Franck
Auffret, satisfait de voir arriver de nouvelles recrues motivées et
averties de ce qui les attend. Entre septembre et juin, les vocations se
sont affinées, les caps se sont définis en fonction des envies et des
capacités de chacun. Dès le mois de mars, l'expérience des apprentis
matelots a gagné de la voilure. Embarqués sur la Belle Poule, le Mutin
et sur l'Étoile, des goélettes de l'École navale, ils participent aux manœuvres.
Les bras hissent les voiles comme les sonneurs de cloches font tinter
l'angélus. Border. Abaisser. Choquer. Le vocabulaire maritime ne leur est
plus étranger. A l'écoute des ordres du commandant Bernard Laurent, tous
s'affairent. On n'est pas en croisière. Ni la voix, ni le geste ne
doivent hésiter. «Sois vaillant et loyal !» Les mousses honorent leur
devise. Pas d'ego, de matelot en trompel'oeil. Sur un bateau, nul n'ignore
cette valeur que trop souvent la société néglige:la solidarité, la
camaraderie. Pour Victor Hugo, la mer était un espace de rigueur et de
liberté. Pour les mousaillons, elle s'impose comme une formidable école
de la vie. Parrain de la promotion Frégate Thétis, l'acteur et écrivain
de marine Bernard Giraudeau n'a pas oublié son passé d'ancien
quartier-maître mécanicien. «Apprendre la vie par ce biais-là, à cet
âge-là, confie-t-il, vous marque définitivement. Ça vous arme et vous
donne l'opportunité d'être très jeune à la proue de votre propre vie
quoi que vous fassiez plus tard.»
Le 2 juillet dernier, les brevets de mousse ont été remis à la
quasi-totalité des élèves qui ont terminé leur scolarité. Un bilan très
satisfaisant selon le capitaine de vaisseau Bernard Riou, commandant le
CIN de Brest:«Ils ont désormais endossé l'habit de marin et pris
conscience de leur statut de militaire au service de la nation.» Parmi
les brevetés figure le mousse Penkerc'h. Nul besoin de prier le saint
patron des boscos : elle a été affectée comme manœuvrier sur un
remorqueur de sonar basé à Brest. Revient alors en mémoire l'image de
la jeune Brestoise à bord de la Belle Poule. Tel Flynn sur son Sea Hawk,
Cécile n'avait pas hésité à grimper sur l'échelle de corde du mât de
misaine. Sans trembler ni vaciller. Sous un ciel de carbone, son regard,
accroché aux vagues ourlées de croquet blanc, avait éperonné
l'horizon... loin devant. Le signe, à portée de foc, d'un bel avenir
dans la Marine nationale.