Les étapes de la vie d’un navire de guerre La vie d’un navire de guerre est marquée par une multitude d’étapes réglementaires, administratives et industrielles. Ce processus fait l’objet de modalités particulières qui sont contraintes par son statut, ses caractéristiques et son emploi. Le début du XXIe siècle voit la croisée des chemins entre une réglementation ancienne et des contraintes nouvelles, liées à la montée inexorable des aspects contractuels et juridiques. Cependant, certains fondamentaux subsistent, car un navire de guerre [1] est, en premier lieu, un navire. Il est donc soumis - pour partie - aux lois (nationales, internationales) et règlements particuliers qui encadrent la navigation en mer, ainsi qu'aux obligations liées à l’autorité du pavillon. Un navire de guerre est aussi un matériel d’armement. Les étapes de sa carrière, qui vont de l'expression du besoin au retrait du service, sont encadrées par une instruction générale [2] qui fixe les principes généraux communs à l’ensemble des opérations d’armement. Cette réglementation doit toutefois être adaptée, car outre sa spécificité maritime, le navire de guerre se distingue de la plupart des matériels terrestres ou aériens par l’absence de prototype, les durées significatives de réalisation et d’armement, des séries limitées et étalées dans le temps, et la nécessité enfin de disposer d'un équipage pendant l'armement et les essais. Intervenant sous l’égide du ministère de la défense, qui fixe les grandes orientations et donne des arbitrages, différents acteurs participent aux opérations d’armement naval. Il est nécessaire de les présenter, avant de dérouler le processus : Les principaux acteurs État-major
des armées et état-major de la marine
Direction générale de l’armement Commission
permanente des programmes et des essais Les
services de soutien
Dernier acteur incontournable, le Service d’Infrastructure de la Défense (SID) assure l’intégration des bâtiments au sein des infrastructures portuaires. De la réflexion à l’aboutissement de l’expression de besoin
L’instruction
générale relative aux opérations d’armement
détaille les actions liées aux divers stades d’avancement
de l’opération, de l’initialisation jusqu’au
retrait du service du produit. Ce processus doit toutefois être
adapté à chaque type de bâtiment
[5], en fonction de sa taille, de son mode de construction,
de ses caractéristiques, de son emploi, voire de sa destinée
en fin de vie. L’état-major de la marine s’appuie sur un officier de cohérence opérationnelle (OCEM) pour rédiger un objectif d’état-major (OEM), document de première analyse qui permet de définir le besoin fonctionnel. En parallèle la délégation générale de l’armement) établit un ordre de grandeur des coûts prévisionnels, et propose une stratégie contractuelle.
Une équipe de programme intégrée (EDPI) est ensuite constituée. A sa tête, un binôme constitué de l’officier de programme (OP) de l’EMM et d’un directeur de programme (DP) de la DGA. L’OP est en charge de rédiger une fiche de caractéristique militaire (FCM), qui va préciser l'expression du besoin fonctionnel issu de l’OEM. Le DP traduit cette expression du besoin fonctionnel en une expression de besoin technico-opérationnelle, par la rédaction d’une spécification technique de besoin (STB). Il analyse avec l'industrie les conditions de faisabilité, et définit les délais de réalisation. En fonction de la stratégie contractuelle choisie, intervient alors une phase de dialogue avec l’industrie, voire de négociation lorsque plusieurs sociétés sont mise en concurrence, qui se traduit au final par la notification d’un marché public. La construction du bâtiment va pouvoir commencer. Première étapes de la construction du bâtiment Le début de la construction est généralement marqué par une succession d’événements particuliers liés au procédé industriel de fabrication choisi, comme le découpage de la première tôle, la sortie de moule (cas des bâtiments en composite), l’assemblage de deux pièces importantes (par exemple deux tronçons pour un sous-marin), ou la « mise sur cale ». Cette dernière expression correspond à la dépose en fond de bassin du premier élément de la charpente du bâtiment sur sa ligne de tins.
Mise à flot et construction Un bâtiment est dit « en construction » depuis sa mise en chantier jusqu'à la date du premier armement [6] pour essais. Au cours de cette période, il reçoit un noyau d'équipage chargé de suivre les travaux. Dès que son état d'achèvement le réclame, sa construction est suivie par « un officier de marine, désigné par le ministre et qui sera appelé à exercer le commandement du navire lorsqu'il entrera en armement pour essais » [7]. Pendant la construction, la mise à flot est le moment emblématique, qui consacre la naissance du navire. Cet instant étant lié au processus industriel, il n’est que peu détaillé par les textes officiels. Cependant, il peut faire l’objet d’une cérémonie particulière (champagne, marraine), ou, plus prosaïquement, d’une clé de paiement contractuelle. A noter que le terme « lancement » est de nos jours tombé en désuétude, car lié à un mode de construction, le plus souvent sur une cale en pente, peu utilisé. La mise à flot se fait donc soit par mise en eau du bassin dans lequel est placé le bâtiment, soit par grutage.
Armement pour essais Un bâtiment en construction passe dans la position « armé pour essais » lorsque les travaux sont assez avancés et « permettent à l'équipage de vivre à bord (sauf pour les sous-marins) et d'assurer la sécurité du bâtiment » [8]. La prise d’armement pour essais (PAE) marque cette étape importante. Plusieurs types d'essais peuvent alors être effectués. Citons :
Or, il ne suffit pas que le bâtiment réponde à des caractéristiques techniques, il faut que ses qualités propres répondent au besoin militaire. C’est l’objet de la vérification des caractéristiques militaires (VCM)[9] par la CPPE, mettant en œuvre un processus de qualification, préparé de longue date. C’est dans ce cadre qu’une visite dite de partance, avant la première sortie à la mer (PSM) sous « statut de navire de guerre », permet de faire la revue de sécurité maritime finale (écart au référentiel), et de délivrer un permis de navigation militaire Le président de la CPPE, à ce titre, a délégation du chef d'état-major de la marine (CEMM), car « L'octroi de l'autorisation de naviguer des bâtiments relevant de la marine nationale est du ressort du chef d'état-major de la marine, en tant qu'autorité du pavillon » [10].
Armement définitif
La CPPE effectue une revue d'ensemble avant réception (REAR) avant la revue d'acceptation technique menée par l'EDPI. Ces conclusions sont prises en compte dans la décision de réception par la délégation générale pour l'armement (DGA), puis de prise en charge par la marine nationale.
Traversée de longue durée (VCM P2) A la fin de leur période d'armement, les bâtiments exécutent une période à la mer qui permet de vérifier la fiabilité et l'endurance des équipements dans des conditions variées, ainsi que la capacité d’intégration dans les forces. Cette période, qui a été désignée au fil du temps « croisière d’endurance » puis « traversée de longue durée », « déploiement de longue durée » en 2012, est depuis 2007 formalisée dans le cadre plus prosaïque de la phase 2 de la vérification des caractéristiques militaires (VCM P2). Une commission supérieure d'armement (CSA) se réunit en principe après cette période pour prononcer l’admission au service actif. Admission au service actif
Curieusement mal ou pas définie dans les textes officiels, l’admission
au service actif (ASA) est une phase importante qui désigne le
moment où le bâtiment est « désormais
disponible pour remplir toutes les missions qui peuvent lui être
confiées ».
Après l’admission au service actif Les positions des bâtiments de la marine après leur admission au service actif sont les suivantes [7] :
Retrait du service actif Le « retrait du service actif » (RSA) marque l’arrêt de l’emploi opérationnel d’une unité. Cette étape se situe en pratique, entre la position « armé » d’un bâtiment admis au service actif, et d'autres positions possibles d’une unité en service que sont « en complément », « en réserve normale » et « en réserve spéciale ». La date de RSA précède celle du « retrait définitif du service » (RDS). En pratique, le calendrier entre RSA et RDS est variable selon le type de navire. Cette durée correspondant au délai de réalisation des différentes opérations techniques, réglementaires et contractuelles permettant de préparer le navire à sa condamnation.
Retrait définitif du service Le
« retrait définitif du service » (RDS) est un jalon
officiel, qui est mentionné en 2007 dans une instruction
[15],
mais qui n’apparaît pas dans l’instruction générale
sur le déroulement des opérations d’armement. Condamnation A la différence des autres matériels militaires du ministère de la défense, « le terme de condamnation s'applique exclusivement aux bâtiments de la flotte » [17]. La condamnation implique le choix d’un mode d'élimination, dont le plus courant jusqu’au début du XXIème siècle était l’immersion du bâtiment en haute mer, après avoir servi de cible de tir. Cependant, pour des raisons de préservation de l’environnement, ce mode d’élimination désormais est interdit par des accords internationaux [18] que la France a ratifiés. Le dernier bâtiment français à avoir été « océanisé » est probablement le sous-marin Junon (22 novembre 2004).
Les navires qui, reconnus impropres à la navigation, ne peuvent être utilisés à des services spéciaux, doivent donc être cédés, vendus ou démolis.
Une circulaire de 1958 [19] précisait « sauf dans les cas exceptionnels de vente avec réutilisation, les cahiers des charges des adjudications de bâtiments condamnés et remis aux domaines comprendront, en règle générale, l'obligation de démolir en France ou dans un pays de l'union française, les coques vendues en France ou dans l'un de ces pays. » L'obligation de démolir en France étant contraire aux règles communautaires, cette circulaire est abrogée en mai 2002, et remplacée par une instruction [20] qui précise la destination qui pourrait être donnée aux coques après prononcé de la condamnation :
Dans le cas d'une cession la procédure comprend une condition résolutoire de dépollution, dont les frais (ex : désamiantage) sont à la charge de l'acquéreur. Conclusion
Le corpus réglementaire et législatif qui régit les programmes d’armement et les étapes de la vie d’un navire de guerre a considérablement évolué depuis le début de XXIe siècle. En premier lieu les aspects normatifs plus prégnants (ex : réglementation « Sécurité et Santé au Travail »), la montée du juridisme, et la recherche d’économie, conduisent, pour partie, à l’abandon d’un référentiel militaire spécifique, au profit de réglementations civiles européennes voire internationales (règles de l’OMI). Dans le même ordre d’idée, les marchés de gré à gré, où le choix du constructeur est au bon vouloir de l’État, ne sont plus la règle. La plupart des marchés d’armement sont désormais mis en concurrence - y compris ceux couverts par le « secret défense » - et régit par le code des marchés publics. D’autre part, l’État retrouve le chemin des financements innovants, dans le cadre de partenariat avec l'industrie, pour utiliser des bateaux, tel L’Adroit, dont il n’a pas la propriété patrimoniale. Des conventions encadrent l’utilisation de ces bâtiments. De plus, une partie du contrôle et du suivi en service des installations, qui était l’apanage d’organismes étatiques, est désormais effectué par des organismes spécialisés, tels les sociétés de classification (ex : Bureau Veritas), qui définissent des règlements de classes à valeur normative. Net-Marine © 2014. Copie et usage : cf. droits d'utilisation.
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