Le récit du naufrage de l'Erika

Réalisation Guillaume Rueda () - source SIRPA-Mer - photos Marine nationale

Parti de Dunkerque et à destination de Livourne en Italie, L'Erika, un pétrolier de 180 mètres de long chargé de 26000 mètres cubes de fioul lourd, avait déjà signalé le 11 décembre des difficultés (gîte anormale). Le capitaine avait toutefois indiqué qu'il contrôlait la situation. Les conditions météorologiques sur zone sont très mauvaises, avec un vent d'ouest force 8 à 9 et des creux de 6 mètres.

Le 12 décembre à 06h00 locales, le Centre Régional de Sauvetage et de Secours en mer d'Etel (CROSS Etel) reçoit un appel de détresse du tanker maltais Erika, signalant un grave problème de structure et demandant l'évacuation de ses 26 hommes d'équipage. Le navire se trouve à une trentaine de milles (50 kilomètres) de la pointe de Penmarc'h dans le Finistère. Dès réception du message de détresse, le CROSS, agissant pour le compte de l'amiral, préfet maritime de l'Atlantique a engagé des moyens nautiques et aériens. Un avion de patrouille maritime Atlantique de la base aéronavale de Lann-Bihoué et un hélicoptère Super Frelon de la base aéronavale de Lanvéoc-Poulmic décollent et se rendent sur zone. De même, les canots de la Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM) de Saint-Guénolé et du Guilvinec appareillent. Le remorqueur de haute mer Abeille Flandre prépositionné en baie du Stiff, fait route vers la position et 3 navires marchands se déroutent.

6h30 : nouveau message : fissure énorme sur la coque et forte gîte tribord signale le commandant du tanker.

7h37 : décollage du Super Frelon de l'Enseigne de vaisseau Philippe Duperron de la Flotille 32F de la base de Lanvéoc (Finistère).

A 08h11 : le Super Frelon hélitreuille une première équipe de 5 personnes qu'il dépose à 09 heures sur la base aéronavale de Lanvéoc-Poulmic.

Entre-temps (08h15), le navire s'est brisé en deux tronçons. Quant au reste de l'équipage, soit 21 personnes, une partie est restée sur la partie arrière de la coque, l'autre a pris place dans une chaloupe de sauvetage du navire. L'évacuation se poursuit par hélitreuillage, avec le concours d'un hélicoptère Lynx et d'un hélicoptère Super Frelon de la Marine nationale. Deux hélicoptères Sea King de la Royal Navy participent également aux opérations.

A 11h00, le dernier membre d'équipage est hélitreuillé. Les rescapés ont été déposés sur les bases aéronavales de Lanvéoc-Poulmic et de Lann-Bihoué et en partie sur la pointe de Penmarc'h où leur accueil est assuré par les Sapeurs pompiers de Saint Guénolé. A l'issue de l'opération de sauvetage, les deux morceaux du tanker flottent toujours. Le préfet maritime décide de les faire remorquer vers le large en vue d'un pompage de la cargaison encore contenue dans leurs flancs, de 5000 à 7000 tonnes de fioul lourd s'étant déjà échappés lors du naufrage.

L'Abeille Flandre arrive sur zone à 12 h30 et, avec le concours d'un Super Frelon, prend en remorque à 13h48 la partie arrière , qui mesure 120 mètres de long. De son côté le remorqueur de haute mer Tenace appareille de Brest pour prendre en charge la partie avant. Le bloc avant de l'Erika coule dans la nuit du 12 au 13 décembre avant que le Tenace ait pu débuter toute action de remorquage. Quant au bloc arrière, malgré tous les efforts de l'Abeille Flandre pour le maintenir en équilibre, il sombre le 13 à 14h51, à environ 35 milles de la pointe de Penmarc'h, par des fonds de 120 mètres.

Deux chapelets de pollutions sont observés sur les lieux de naufrage des deux blocs d'où suinte du pétrole. Depuis ces événements la surveillance de la zone où les deux morceaux de l'Erika se sont abîmés est effectuée par des aéronefs et des bâtiments de la Marine nationale. La position des deux épaves a été repérée précisément les 14 et 15 décembre par le chasseur de mines Pégase après localisation par les frégates De Grasse et Latouche-Tréville. Par ailleurs des chapelets de pollution se déplacent en direction de l'est-sud-est (Vendée). Leur évolution est suivie en permanence par les Atlantique de Lann-Bihoué ainsi que par un avion des douanes.

Témoignage de l'enseigne de vaisseau Philippe Duperron qui pilotait l'hélicoptère arrivé le premier au-dessus de l'Erika, dimanche vers 8 h. (propos recueillis par Michel Rouger - quotidien Ouest-France)

"Avec des rafales de 40 à 50 nœuds (70 à 90 km/h), le Super Frelon était très instable. ll faisait encore nuit, il était difficile de se repérer visuellement mais l'aube commençait et le navire était relativement gros. L'équipage était regroupé à l'arrière près du château. Le plongeur est descendu. Il a dû être très ferme : à bord, un vent de panique soufflait. Tout le monde voulait partir en même temps.Au bout de quelques minutes, j'ai vu le navire se casser en deux, mais les hommes, je ne pouvais pas les voir. Il fallait faire attention de ne pas les serrer trop près du mât, le bâtiment bougeait fortement, mais c'est toujours la difficulté de la chose : on est aguerri. C'est d'abord un travail en binôme avec le treuilliste."
Philippe Duperron, chef de la flotille 32 F de la base de Lanvéoc (Finistère), n'est pas homme à en rajouter. Les rafales qui secouent l'hélico, le bateau qui remonte soudain de cinq-six mètres, le naufragé qui risque de décoller brutalement et se cogner… Conjuguer tout cela avec le premier maître Roland Primel, le treuilliste, c'est son boulot de sauveteur. Dimanche 12 décembre 1999, il avait réussi à faire ainsi monter cinq hommes dans le Super Frelon quand, tout à coup, la panne : "Le treuil s'est bloqué. Ça arrive très rarement. On a dû laisser le plongeur à bord et repartir à la base". Il est 9 h 40 environ. Le Lynx prend le relais. Le Super Frelon, lui, est de retour sur zone à 10 h 10, au-dessus de la chaloupe et des treize derniers rescapés. "Là, ça a été relativement "chaud" ". La chaloupe échappe au regard du pilote, se balade dans tous les sens et "la mer était relativement grosse : heureusement, il n'y avait pas de panique". Finalement, pour l'enseigne de vaisseau Duperron, sauveteur depuis une demi-douzaine d'années, cette opération n'a été "ni la plus simple ni la plus compliquée".

Témoignage du commandant du remorqueur, Charles Claden. (Propos recueillis par André Thomas - Ouest-France, 14 décembre 1999)

"Nous ne sommes pas déçus. Si on ne le faisait pas, c'était sur Belle-Ile ce soir. On n'a pas pu l'empêcher de couler. Nous avions 500 mètres de remorque. J'ai attendu qu'il coule et puis j'ai raccourci."

- Pourquoi l'arrière de l'Erika at-t-il coulé ? "La structure était atteinte quand il a cassé. Personne ne savait alors ce qui pouvait se passer. C'est pour cela que quand nous avons fait la connexion, j'ai laissé mes gars à bord juste le temps nécessaire. Le bateau avait déjà souffert. A bord, toutes les tuyauteries étaient en communication avec la mer, ça s'infiltre forcément. D'un seul coup, à 12 h30, on a senti l'épave changer de comportement."

- Pourquoi l'arrière de l'Erika a-t-il coulé aussi près du lieu du naufrage ? "Mon souci, c'était que le bateau n'aille pas à la côte. Avant de le prendre en remorque, il dérivait à 2,5 nœuds (4,5 kilomètres à l'heure) ce qui fait qu'il serait arrivé dans l'après-midi sur Belle-Ile. Mon souci c'était de le maintenir au cap et de ne pas casser. Ce matin, le vent avait un peu molli, on a commencé à gagner un peu dans l'ouest, puis le vent est reparti. La météo est redevenue trop mauvaise pour qu'on fasse quoi que ce soit. Si j'allais plus ouest, je risquais de casser. Les pics de tension (sur le " croc " du remorqueur, auquel est attachée la remorque) sont montés jusqu'à 180 tonnes, à 200 tonnes ça cassait. J'étais obligé de maintenir toujours un équilibre " limite ". "

- La puissance de l'Abeille, dont on évoque le renouvellement, est-elle en cause ? " Non. Nous tractions une épave au comportement déstabilisé. L'arrière faisait des bonds de 20 mètres. C'était impressionnant. "

- En combien de temps le bateau a-t-il coulé ? " Son comportement a commencé à changer à 12 h 30. Ensuite vers 14 h, il s'est mis à la verticale. Il a coulé 40 minutes après. "

- Quel est le moral des troupes à bord ? " Impeccable. Moi j'ai dormi à la passerelle, par tranches de 20 minutes, sur des couvertures par terre. C'est la seule solution. On a rempli notre objectif : éviter qu'il arrive à la côte. "

- Y avait-il du pétrole en surface ? " Non, de petites irrisations, c'est tout. "


[Sommaire Abeille Flandre]. [Sommaire Net Marine]