Les sous-marins à hautes performances de 800 tonnes du type Daphné


Le sous-marin Daphné, bâtiment tête de série.
Dans les années cinquante, des sous-marins de tonnage moyen, entre 400 et 1200 tonnes, devaient compléter l'éventail des futures forces sous-marines, et améliorer encore leurs caractéristiques.

Le 17 septembre 1952, l'État-Major général adressa au Service Technique des Constructions Navales (STCAN) une note au sujet d'un projet de " sous-marin torpilleur de 2ème classe ". Autrement dit, d'un sous-marin de taille modeste, déplaçant environ 700 ou 750 tonnes. Cette note était signée par l'amiral Rosset, ancien sous-marinier, chargé de " la flotte en construction ".

Reprenant les caractéristiques relatives à l'appareil propulsif, la détection, le silence et la maniabilité des Aréthuse, l'État-Major général demandait en outre :

  • une immersion périscopique aussi grande que possible ;
  • une profondeur d'immersion sensiblement plus importante que celle des Narval et Aréthuse ;
  • 13 noeuds en plongée, 6 en marche silencieuse et 7 au schnorchel ;
  • au minimum 6 tubes lance-torpilles intérieurs dont 4 d'étrave, 2 arrière et 14 torpilles de réserve ;
  • une DLT (Direction de Lancement de Torpilles) semblable à celle des Narval, les tubes arrière étant surtout destinés aux lancements défensifs sur adversaire "menaçant".

Le sous-marin Doris à Toulon (août 1990).

La note attirait l'attention sur l'intérêt d'un matériel très automatisé, facile à mettre en oeuvre, et la pratique des échanges standards avec utilisation maximum d'ensembles complets afin de limiter les travaux d'entretien à bord.

Enfin, après diverses considérations, notamment sur la régénération de l'air, la possibilité de détection des mines à orin et du ravitaillement à la mer, l'État-Major précisait que ces sous-marins torpilleurs de 2ème classe devraient être aptes à opérer dans les zones d'intervention des Narval, c'est-à dire disposer d'une grande autonomie.

Par rapport aux Aréthuse, ces spécifications mettaient l'accent sur la profondeur d'immersion et l'armement au détriment éventuel de la vitesse.


A bord de la Junon (1994).

Les études étaient menées en liaison avec la section sous-marine à l'Etat-Major Général de la Marine, dirigée par le capitaine de frégate Guépin. Elles se prolongèrent près de trois ans. Le projet J4, quatrième et dernière version, signé par l'ingénieur en chef Gempp, fut transmis à l'État-Major Général le 21 juin 1955.

Trois sous-marins qualifiés " à hautes performances ", les Daphné, Diane et Doris, inscrites au budget de 1955, étaient mises en chantier respectivement en mars, juillet et septembre 1958, les deux premiers à Nantes sur les cales de Dubigeon et le troisième à l'arsenal de Cherbourg.

Huit autres Daphné suivirent : les Eurydice, Flore, Galatée (Cherbourg) sur le budget de 1956, la Minerve (Dubigeon) sur celui de 1957, les Junon, Vénus (Cherbourg) autorisées en 1960, les Psyché et Sirène (arsenal de Brest) inscrites en 1964. La Daphné fut lancée la première, le 20 juin 1959, et la Sirène, dernier bâtiment de la série, le 28 juin 1967.

Des caractéristiques novatrices pour l'époque

Les onze sous-marins entrèrent successivement en service entre juin 1964 et mars 1970. L'expérience acquise avec les Narval et les Aréthuse leur avait largement profité. Aux essais et en service, ces sous-marins de moyen tonnage firent preuve de remarquables qualités.

Atteignant 16 noeuds en immersion, très silencieux, maniables, plongeant à 300 m (avec l'habituel coefficient de sécurité 2), munis d'un équipement de détection et d'un système d'arme élaborés, ils sont aptes aussi bien à la chasse aux sous-marins qu'à l'attaque de bâtiments de surface.


Arrivée de la Doris à Saint-Raphaël (1994).

Leur coque épaisse fusiforme, apparente dans la partie centrale au-dessous des ballasts, s'appuie sur une quille saillante. L'appareil moteur du type diesel-électrique comprend deux moteurs électriques Jeumont Schneider de 580 kW pouvant atteindre en surpuissance 886 kw. Ces moteurs sont directement attelés sur leur ligne d'arbres respective.

Quatre possibilités de couplage permettent une gamme de vitesse très étendue.
Deux diesels suralimentés S.E.M.T. Pielstick, entraînent chacun une dynamo Jeumont Schneider qui fournissent une puissance électrique de 450 kW dans des conditions de fonctionnement des plus sévères et rechargent rapidement les 160 éléments d'accumulateurs du type L.

La détection sous-marine est assurée par une groupement microphonique, un télémètre acoustique (en 1977, la Doris reçut, à titre expérimental, un " Fénelon", télémètre de la troisième génération de CIT-Alcatel) et un sonar moderne. Cet appareillage est complété par un goniomètre, un analyseur de fréquences et un détecteur de cavitation.

Les Daphné portent 12 tubes lance-torpilles de 550 mm, à manoeuvre entièrement automatique, répartis entre un groupement de 8 intérieurs à l'avant et 4 extérieurs à l'arrière. Les tubes, à lancement discret par l'intermédiaire d'un refouloir, peuvent lancer à la vitesse et l'immersion maximum du sous-marin.
Depuis la modernisation, entreprise depuis 1971, l'armement torpille est mis en oeuvre par une DLT D-3 de CIT-Alcatel. Un radar et un intercepteur d'émissions radar permettent de neutraliser la menace aérienne.


Le sous-marin Flore au sec sur le slipway de l'ancienne base sous-marine de Kéroman (5 juillet 2006).

L'arrivée des Daphné en Méditerranée rendit nécessaire la construction d'installations nouvelles. En mai 1964, le chef d'État-Major de la Marine posa la première pierre d'une caserne pour la base des sous-marins de Toulon. Achevée en 1966, elle prit le nom de "caserne L'Herminier". Le vieux Béarn, après 40 ans de bons et loyaux services, fut alors livré aux chalumeaux des démolisseurs.

Le 1er novembre 1970, la 1ère escadrille, comptant 11 unités, reçut l'appellation "Escadrille de sous-marins de la Méditerranée" (ESMM, puis ESMED) la 2ème escadrille, comprenant 8 bâtiments, 6 du type Narval et 2 du type Daphné, basés à Lorient, devint l'"Escadrille de sous-marins de l'Atlantique" (ESMA, puis ESMAT). Les sous-marins de 800 tonnes ont tous été modernisés à partir de 1971, à l'exception de la Daphné, qui le fut moins complètement que les autres.

Les tragédies de la Minerve et de l'Eurydice

Malgré le soin apporté à la construction, un nombre important d'avaries eurent lieu à bord de ses sous-marins. Les accidents, qui causèrent la perte sous-marins Minerve et Eurydice, restent encore dans les mémoires :

- Le 27 janvier 1968, la Minerve disparaît au sud-est du cap Sicié (Var), par 1500 à 2000 mètres de fond (52 disparus).
-
Le 4 mars 1970, l' Eurydice se perd corps et biens au large de Saint Tropez, faisant 57 disparus.


Les zones des naufrages de la
Minerve et de L'Eurydice.

Ces naufrages causeront un profond traumatisme au sein de la marine française.

La cause de ces accidents fait l'objet de plusieurs hypothèses (collision, voie d'eau, noyage via le schnorchel, défaut de l'appareil à gouverner, explosion interne,...). Il est possible que l'accident soit le résultat d'un défaut de conception du sous-marin, auquel s'ajouterait la réaction en chaîne d'incidents mal maîtrisés.

Deux principaux problèmes se posaient à l'époque :

- d'une part l'ergonomie du matériel, qui ne permettait pas toujours de réagir avec toute la promptitude nécessaire à un incident,

- d'autre part des difficultés de formation des équipages, à un moment où la constitution des équipages des premiers SNLE type Le Redoutable demandait beaucoup de monde, et où les méthodes d'entraînement étaient encore assez artisanales. Il n'y avait, par exemple, pas de simulateur à terre.


Le sous-marin portugais Delfim (Photo Octávio Oliveira).

Les sous-marins type Daphné dans le monde

Plusieurs Marines étrangères portèrent un intérêt marqué à ce type de sous-marins, et firent l'acquisition d'exemplaires :

  • 4 unités furent commandées par le Portugal en 1964, dont une refondue en France et une autre, le Cachalote (S165) qui sera revendue au Pakistan et prendra le nom de Ghazi (S134) ;
  • 3 par le Pakistan en 1966 (pour l'anecdote, le sous-marin pakistanais en construction à l'arsenal de Brest en 1967 recevra le n° Q256 dans la série française). Parmi ces trois sous-marins, le Hangor (S131) fut le seul de ce type qui ait eu à mener une action de guerre, le 9 décembre 1971, en torpillant et coulant la frégate indienne Khukri.
  • 3 par l'Union Sud-Africaine en 1967.
  • L'Espagne adopte également ce type de sous-marin en 1965 qu'elle a fait construire en 4 exemplaires à Carthagène avec l'assistance française.
Portugal
. Nom Chantier Sur cale Lancé En service Désarmé
S163 - ALBACORA Dubigeon, Nantes   10-1966   10-1967  2000
S 164 - BARRACUDA Dubigeon, Nantes   4-1967  4-1968  2009
S 165 - CACHALOTE Dubigeon, Nantes   2-1968  1-1969  -
S 166 - DELFIM Dubigeon, Nantes   9-1968  10-1969 2006
Espagne
. Nom Chantier Sur cale Lancé En service Désarmé
S 61 - DELFIN Bazan   3-1972   5-1973  7-2003
S 62 - TONINA Bazan   10-1972  7-1973  9-2005
S 63 - MARSOPA Bazan   3-1974  4-1975  4-2006
S 64 - NARVAL Bazan   12-1974  11-1975  1-2003
Pakistan
. Nom Chantier Sur cale Lancé En service Désarmé
S 131 - HANGOR DCAN Brest   6-1969  1-1970
 -
S 132 - SHUSHUK C.N. La Ciotat   7-1969  1-1970
 -
S 133 - MANGRO C.N. La Ciotat   2-1970  8-1970
 -
S 134 - GHAZI (ex Cachalote Portugal) Dubigeon, Nantes   2-1968  1-1969
 -
Afrique du Sud
. Nom Chantier Sur cale Lancé En service Désarmé
S97 - MARIA VAN RIEBEECK (puis SPEAR) Dubigeon, Nantes   3-1969  6-1970  1996
S 98 - EMILY HOBHOUSE (puis UMKHONTO à/c 1999) Dubigeon, Nantes   10-1969 1- 1971  2003
S 99 - JOHANNA VAN DER MERWE (puis ASSEGAAI) Dubigeon, Nantes   7-1970  7-1971  2003

Les sous-marins portugais Delfim et Barracuda (Photo Octávio Oliveira).

(Textes Net-Marine © 2006. Remerciements Patrick Du Cheyron, Gérard Rost, Serge Pelois, Serge Le Coustour. Sources : Forces sous-marines 1985 ; Plaquette de présentation Marine nationale des sous-marins type Aréthuse et Daphné 1963 ; Plaquette de présentation de la 1ère escadrille de sous-marins ; Flottes de combat. Copie et usage : cf. droits d'utilisation )


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