Georges Clemenceau

"Il faut en finir avec la centralisation napoléonienne tombée aux mains d'un Etat anonyme de ronds-de-cuir" (et se méfier) "du régionalisme monarchique dirigé contre les progrès de la société civile et laïque, contre le droit libérateur de la République." (L'Aurore, 31 juillet 1903)

Rien de plus traditionaliste que cette famille de "révolutionnaires", chez les Clemenceau, cette vieille famille bourgeoise anoblie sous Louis XIII, les options politiques, religieuses sont des plus tranchées, des plus absolues.

Le grand-père de Georges s'installe le premier à l'Aubraie, près de la Féole, dans ce château. Ses deux fils, Paul et Benjamin, reflètent la grande discorde française. A leur propos, lorsqu'un visiteur demandait l'un ou l'autre sans préciser le prénom, le père posait rituellement la question : "Lequel ? Le marquis ou le sans-culotte ?"

De Benjamin, Georges naît le 28 septembre 1841, à Mouilleron-en-Pareds, dans la maison de sa femme, cet homme (lui aussi médecin), d'aspect sévère et distant inculque à son fils le culte de la démocratie. Clemenceau avouera qu'il fut la seule personne qui ait eu quelque influence sur lui : "C'est mon père qui m'a formé, je lui dois tout". En 1865 il monte à Paris. Au Quartier Latin, il commence à faire de la politique tout en continuant ses études de médecine. A vingt-quatre ans, docteur en médecine, il part pour les Etats-Unis afin d'y étudier le Constitution Fédérale. Il y reste près de cinq ans et devient professeur de littérature française et d'équitation dans un collège de jeunes filles. Il finit par épouser une de ses plus jolies élèves avant de rentrer en France.

Ces coups de griffe lui valent le surnom de Tigre

Le jeune ménage débarque peu de temps avant la déclaration de guerre avec la Prusse. A Paris, Clemenceau retrouve son ami Etienne Arago qui lui propose de devenir maire d'un arrondissement de Paris. La capitale va être assiégée ; il faut un réseau d'hommes sûrs et actifs.
Georges choisit l'arrondissement de la Butte Montmartre. Il y ouvre un cabinet de consultation, au 21 rue des trois frères. Peu de temps après, il abandonnera la médecine pour se consacrer exclusivement à la politique. Il devient très vite populaire par des mesures comme l'instauration - immédiate dans sa circonscription - de l'enseignement laïc et obligatoire. "Ce fut le début de sa carrière politique, axée dès le début sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat et sur une égalité absolue entre les citoyens". Grâce à ses actions énergiques, Montmartre devient le centre de ce que l'on a appelé la Commune.
Le 8 février 1871, Clemenceau est élu représentant de la Seine à l'Assemblée Nationale. Sa carrière politique se poursuit : nommé conseiller municipal de Paris, il prend ensuite les responsabilités de la présidence du Conseil municipal. En 1880, il est élu député du Var. Impliqué dans le scandale de Panama, il perd son siège de député en 1893. L'effacement temporaire de l'homme politique fournit à son esprit l'occasion de s'adonner aux lettres. Orateur puissant, il se révèle alors comme écrivain, journaliste, romancier et auteur dramatique. Chef de l'extrême gauche radicale et grand orateur, il provoque la chute de plusieurs cabinets (notamment celui de Jules Ferry), ce qui lui vaut le surnom de "tombeur de ministères", et s'oppose au général Boulanger. Redevenu simple journaliste, il prend la tête des défenseurs de Dreyfus en publiant "J'accuse" de Zola (1898) dans l'Aurore. Mais la politique le tient toujours le 12 mars 1906, il est appelé au ministère de l'intérieur ; le 25 octobre suivant, il devient président du Conseil.
Il entreprend alors des réformes sociales (congé hebdomadaire, création d'un ministère du Travail) mais réprime sévèrement les troubles provoqués par les vignerons du Midi et les ouvriers de la région parisienne, provoquant de ce fait la rupture avec les socialistes. Renversé en juillet 1909, il fonde le journal l'Homme libre (1913), qui devient, après l'institution de la censure (1914), l'Homme enchaîné.

Le "père la victoire"

Le 16 novembre 1917, le pays rappelle Clemenceau à la tête de gouvernement. Il faut un homme fort, capable de prendre des mesures impopulaires ; C'est ainsi que le Vendéen devient le chef incontesté de "l'Union Sacré". Il fait appel à Foch qui deviendra généralissime des forces alliées - malgré l'avis contraire d'une chambre en folie -, puis à Castelnau. Peu lui importe les opinions politiques ou religieuses des combattants s'ils sont résolus à se battre. Alors commence la période triomphale qui lui a valu le surnom de "Père la victoire". Du 22 juillet 1917 au 11 novembre 1918, il demeure sur la brèche tant à l'intérieur que sur le front. Il parcourt à soixante-seize ans les tranchées, la canne à la main, sous les balles et les obus. Sa popularité sur le front est immense. Un an après sa nomination, l'Allemagne demande l'armistice.

"Quelle est donc ma surprise quand je découvre que l'Allemagne ne cesse d'armer et la France de désarmer..."

En 1920, la présidence de la République vacante, Clemenceau pose sa candidature, mais les parlementaires lui refusent leurs voix au profit de Paul Deschanel. C'est la dernière défaite de Clemenceau. Le "Tigre" se retire à Saint-Vincent-Sur-Jard dans une petite maison de pêcheur - une "bicoque" loué 150F par an - face à la mer . Il écrit beaucoup et principalement la nuit. Après l'homme d'action, c'est le prophète qui s'exprime : "Quelle est donc ma surprise quand je découvre que l'Allemagne ne cesse d'armer et la France de désarmer...Chez nous, les frontières ouvertes, des armements déficitaires, des effectifs bien en dessous des chiffres reconnus nécessaires, tandis que d'autre part, une vie fiévreuse de réfection générale développe et réorganise par l'ajustement d'un matériel nouveau, toute partie de l'armement. De l'enthousiasme partout dès que le mot guerre est jeté aux passions de la foule, et aucun signe de rapprochement franco-allemand". Il meurt en novembre 1929, rue Franklin, à Paris. Il est enterré dans le bois du Colombier (non loin de Mouchamps), près de son père sous un cèdre que celui-ci avait planté. Pas de pierre tombale, pas d'inscription, une simple grille de fer. Au-dessus des deux tombes veille une stèle qu'il avait commandée en 1923 au sculpteur Sicard. Sur un bloc de pierre ramené d'Egypte, l'artiste a gravé l'image de Pallas Athéna casqué, la lance au poing.